J’ai reçu aujourd’hui même, ta
lettre datée du 5 octobre 2013.[1]
Je suis content que l’échange
continue.
Il nous appartient de faire en
sorte pour qu’il dure, ine chaa-e Allaah.[2]
Je vais commencer par la fin de
ton écrit où tu me demandes s’il m’est arrivé de me remettre en question
« en dehors de la religion » ?
Tu considères cette question
comme cruciale, je ne vois pas pourquoi.
Moi je trouve que sa deuxième
partie dénote d’une certaine confusion, mais cela ne m’empêche pas d’essayer
d’y répondre.
Il est évident que je me suis
remis en question et que je me remets, souvent, en question.
Je n’ai pas besoin de t’exposer
des étapes de mon parcours pour illustrer ma réponse que je vais
compléter : Je me remets, souvent, en question pour faire de mon mieux,
afin d’Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
Et pour cela, je suis
reconnaissant à Allaah pour tous Ses bienfaits, dont font partie, mon épouse et
nos enfants par exemple.
Au sujet de ton point concernant
la vie des uns et des autres au sein de notre famille décomposée, moi,
malheureusement, je n’ai pas vécu au chaud, comme tu l’écris, auprès de notre
défunt père.
J’étais à l’internat dès l’âge de
dix ans, presque sans interruption,[3]
jusqu’au baccalauréat, [4] après quoi, comme toi, j’ai
rejoint l’université en France où notre père ne prenait pas en charge les qui
en découlaient.[5]
Je dois te dire que parmi les
textes que je donne à lire depuis des années sur internet, beaucoup ont trait à
cette famille décomposée,[6] mais
sans recours de ma part à la « victimisation » et à la
« dénégation » par exemple, comme c’est ton cas dans ton courrier.
Je referme la parenthèse pour te
dire que c’est une bonne chose que l’écriture soit ton jardin et que les livres
soient tes amis, comme tu tiens à le souligner.
Chercher la connaissance est un
enseignement fondamental de l’Islaam,[7]
depuis Aadame sur lui la bénédiction et la paix.
L’Islaam rejette l’obscurantisme,
l’ignorance[8] et pousse à l’effort[9] dans
ce domaine, comme dans d’autres.
Il fait appel à la raison et
invite à se remémorer pour saisir le Sens et approfondir le Lien.
J’ai déjà eu l’occasion de te
l’écrire, mais il ne faut pas hésiter à répéter, encore répéter, toujours
répéter les enseignements qu’apporte le Message du Seigneur des univers.[10]
Tu te poses des questions sur
« les gens de la caverne »,[11]
entres autres : Tu peux trouver des réponses dans Alqoraane,[12] au
chapitre qui porte ce titre.
J’ai été très touché d’apprendre
que tu as rêvé de Mohammad, l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction
et la paix.
C’est un cadeau inestimable car
lui-même a précisé que quiconque le voit dans un rêve, véridique est sa vision.[13]
Que ce rêve t’aide à méditer sur
l’Essentiel.
Tu me parles de l’un de nos
neveux,[14] parce
que tu tiens à répéter que dans la famille tu es comparé à lui et lui à toi,
car tous les deux, vous êtes intransigeants, libres et que vous vous réalisez
par l’écriture : Je ne peux que vous souhaiter du succès dans la Voie
d’Allaah.
Cher frère, nous sommes, tous les
deux, au crépuscule de notre parcours.
J’ai mis beaucoup de temps pour
comprendre que je n’étais pas dans la bonne Voie.[15]
Depuis un certain temps, je fais
de mon mieux en invoquant Allaah afin qu’Il pardonne mes errements, mes
compromissions, mes fautes, mes faiblesses, mes rancoeurs, mes insuffisances,
mes incapacités et autres, me protège des tromperies
« d’achchaytane »[16] et
de tous les ennemis, m’accorde l’humilité, me préserve de la cécité du cœur et
me couvre des bienfaits de Sa miséricorde.
Dans ce que tu m’écris, tu précises
que tu as « bien vécu ».
C’est quoi « bien
vivre » ?
Pour beaucoup c’est jouir de ce
que Allaah nous demandes de ne pas approcher.
C’est s’adonner aux plaisirs
illicites qu’ils sont fiers d’exposer comme des succès.
Qu’Allaah nous pardonne.
Pour beaucoup, Allaah n’existe
même pas.
Pour beaucoup encore, le craindre
n’est pas « moderne ».
Je peux continuer à l’infini.
« Aviez-vous pensé que Nous
vous avions créés par frivolité[17] et
qu’à Nous vous ne seriez pas retournés ? Exalté soit Allaah, Le Vrai Roi,[18] nul
Ilaah[19] que
Lui, Le Maître du Noble Trône[20] ».[21]
À
la mosquée[22] où je me rends pour
« salaate aljomo’a »,[23] qui
a été construite à la place d’une partie de l’usine automobile où un de nos
frères travaillait comme ouvrier à la chaîne au début des années soixante dix[24],
« alkhotba »[25]
avait pour thème le pèlerinage.
J’ai pensé à ce qu’en a écrit
l’Autrichien Léopold Weiss, qui a choisi de s’appeler Mohammad Asad,[26] en
retrouvant l’Islaam :
« Les
mouvements corporels du pèlerin autour (de la Kaaba)[27]
symbolisent l’activité humaine, signifiant que, non seulement nos pensées et
sentiments – tout ce que comprend l’expression «vie intérieure» –, mais aussi
notre vie extérieure et active, nos actions et efforts pratiques doivent avoir
Dieu pour centre. […].
Je
marchais:[28] et,
à mesure que les minutes passaient, tout ce qui avait été petit et amer dans
mon cœur me quittait et je devins partie d’un courant circulaire. Était-ce donc
la signification de ce que nous faisions : devenir conscient que l’on est
partie d’un mouvement sur une orbite ? Était-ce, peut-être la fin de
toutes les confusions ? Et les minutes se dissolvaient, le temps
s’arrêtait et c’était le centre de l’univers […] ».[29]
C’est ce même Autrichien, décédé
depuis de nombreuses années, qui fournit d’autres éclairages précieux, en
écrivant par exemple que :
« Ce ne furent pas les musulmans qui ont fait la grandeur de
l’Islam ; c’est l’Islam qui a fait la grandeur des musulmans. Mais dès que
leur foi devint routine et eut cessé d’être un programme de vie mis
consciemment en pratique, l’élan créateur qui étayait leur civilisation
déclina, laissant graduellement la place à l’indolence, à la stérilité et à la
décadence culturelle ».[30]
Et encore lui :
« La tendance à l’imitation d’une civilisation est l’aboutissement
d’un sentiment d’infériorité. Ceci n’est rien de moins que le fait des
Musulmans qui imitent la civilisation occidentale. Ils opposent sa puissance,
sa maîtrise technique et sa brillante surface à la triste souffrance du Monde
musulman. Ils se mettent à croire, qu’à notre époque, il n’y a pas d’autre
alternative au mode de vie occidental. Blâmer l’Islam pour nos propres
déficiences est devenue la tendance actuelle ».[31]
Est-ce que cela signifie
l’opposition à tout ce qui vient d’ailleurs, comme certains et certaines le
claironnent ?
Pas du tout. « On pourrait
toujours recevoir de nouvelles et positives influences d’une civilisation
étrangère sans que cela ne soit destructif pour soi ».
Toujours lui :
« Le problème auquel font face les Musulmans aujourd’hui est celui
du voyageur arrivé à la croisée des chemins. Il peut rester là où il se trouve
mais cela signifierait mourir de faim. Il peut choisir la route dont le panneau
signale «vers la civilisation occidentale». Dans ce cas, il devra abandonner
son passé pour toujours. Il peut en choisir une autre dont le panneau indique
«vers la réalité de l’Islam». Seule cette route peut attirer ceux qui croient
dans leur passé et dans la possibilité de le transformer en un avenir
vivant ».[32]
Nous aurons encore l’occasion,
ine chaa-e Allaah, d’échanger sur ces points et d’autres.
Il serait bon cher frère, à la
fin de la lecture de cette lettre, que tu te lèves afin de prendre un bain
purificateur, de faire tes ablutions et de te présenter devant Allaah en toute
humilité, en invoquant Son pardon et Sa miséricorde, pour accomplir la Prière.
Assalaate.[33]
Je te l’ai déjà écrit en 2011,
dans la lettre que j’ai remise à une de nos soeurs pour toi.
Jusqu’à son départ pour l’au-delà
et pendant de longues années, je n’ai pas cessé de répéter cela, avec d’autres
précisions, à notre père.
Dans ce domaine, je n’ai pas
abdiqué et avec d’autres je n’abdique pas non plus.
C’est une obligation :
Les croyants et les croyantes[34]
commandent[35] le convenable[36] et
proscrivent[37] le blâmable.[38]
BOUAZZA
[1] Selon le calendrier dit
grégorien.
[2] Si Allaah veut.
[3] J’ai
achevé une année scolaire de collège à Casablanca chez notre père et je suis
resté les deux années d’après chez notre sœur, décédée en 1970.
[4]
L’internat que mon père ne payait pas.
[5] J’ai
été aidé par des personnes en France, j’ai fait des travaux d’étudiants et j’ai
décroché une bonne bourse du Maroc lorsque, suite aux tentatives militaires
d’éliminer ″la royauté″, le régime de l’imposture a
distribué à tour de bras, des bourses à tous les étudiants, afin d’essayer de
faire taire leurs revendications.
Tout le monde le sait.
[6] Sur laquelle je continue
d’écrire.
[7]
L’Islaam depuis Aadame sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de
son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
[8]
Aljahl.
[9]
Alijtihaad.
[11] Ahl
alkahf.
[12]
Alqoraane (Le Coran) est la continuation, la synthèse et le parachèvement du
Message d’Allaah.
Mohammad, l’ultime Prophète
et Messager sur lui la bénédiction et la paix, a eu pour mission de le
transmettre.
[13] Selon Abou Sa’iid Alkhodarii
(Abou Saïd Alkhodari), le Prophète sur lui la bénédiction est la paix a
dit :
″Quiconque
me voit dans un rêve, véridique est sa vision, car achchaytaane ne peut prendre
ma forme″.
Hadiite (hadite, hadithe, hadiithe) rapporté par
Albokhaarii (Alboukhari).
Les ″r″ roulés.
Lorsqu’on parle de hadiite,
cela renvoie à ce qui a été rapporté concernant la conduite de Mohammad,
l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction et la paix, à Assonna.
Alqoraane n’a de sens
qu’avec Assonna et Assonna ne peut exister sans Alqoraane.
Assonna procède
d’Alqoraane.
[14] Enseignant universitaire
et journaliste.
[15] Il y a deux voie :
LaVoie d’Allaah et la voie d’achchaytaane.
[16] Satan.
[17]
Kachriid utilise le terme ″amusement″ (au lieu de frivolité) et note,
entres autres, que si Allaah a crée les êtres et les choses, ″c’est dans un but bien défini. C’est
pour démontrer Sa puissance infinie, Sa miséricorde sans bornes et Sa justice à
laquelle personne ne peut échapper. Que les criminels manifestent largement
leur puissance et leur outrecuidance, que les tyrans se prennent ici pour les
dieux, que les riches impies se vautrent dans leur dépravation et dans leur
luxure et que les honnêtes gens souffrent dans ce monde toutes sortes de
vexations et d’injustices, mais ce monde n’est qu’une voie de passage ou une
station de tri et le jour du grand jugement est inéluctable où chacun sera
récompensé selon ses intentions et selon l’état de son coeur″.
Salaah Addiine Kachriid
(Salah Eddine Kechrid), traduction du Qoraane (Coran), Loubnaane,
Bayroute, éditions Daar Algharb Alislaamii, cinquième édition, 1410 (1990),
première édition, 1404 (1984).
Note en bas de la page 456.
[18]
Almalik Alhaqq.
[19]
Divinité.
[21]
Alqoraane (Le Coran), sourate 23 (chapitre 23), Annour (le ″r″
roulé), La Lumière, aayate 115 et aayate 116 (verset 115 et verset 116).
[22] Almasjid.
[23] La prière de vendredi.
[24] Il avait dix sept ans à
l’époque.
Sur ses papiers, il a été vieilli pour qu’il puisse
rejoindre cette usine.
Il a quitté très vite la chaîne et la France.
[25] Lkhotba, lkhtba, ce terme
arabe est généralement traduit par sermon ou prône.
Il s’agit de l’intervention
de ″alimaame″, l’imam (le guide) sur un thème de
son choix, avant qu’il ne dirige la prière.
Pour la prière des deux
fêtes de l’Islaam, la fête de la rupture du jeûne et la fête du sacrifice
(‘iide alfitr et ‘iide aladhaa), l’imam procède à ″alkhotba″,
après la prière.
[26]
Açad.
[27]
Alka’ba (ka’ba) à Makka (la Mecque).
[28] Il a
accompli l’obligation du pèlerinage (alhajj) avec son épouse Elsa, musulmane
d’Autriche comme lui.
Décédée pendant cette
période, elle est enterrée à la Mecque.
[29]
Muhammad Asad, Le Chemin de la Mecque, Paris,
Fayard, 1976.
[30] Mohammad Asad, op.cit,, p. 178, 179.
[31]
Mohammad Asad, l’Islam à la croisée des
chemins, Bruxelles, Éditions Renaissance, 2004, p. 110, 111.
[32] Mohammad Asad, op.cit, p. 114.
[33] Assalaa.
[34] Almouminoune wa almouminaate.
[37] Yanhawne.
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