Je suis installé dans une maison depuis
un quart de siècle.
Avec mon épouse.
Nos deux fils y ont vécu aussi,
mais maintenant, ils sont mariés et installés ailleurs.
Avant cette maison, nous avons
occupé un appartement dans la même commune.
La maison est simple.
Une vieille petite maison.
Avec une cave, un rez-de-chaussée
et un étage.
Il y a aussi un bout de jardin
devant et un bout plus grand derrière, que j’aime arroser.
Donner à boire à la terre et aux
plantes.
Je ne me lasse pas de rappeler
des souvenirs et certaines sensations liés à l’arrosage.
En arrosant, je redeviens un peu
un enfant dans un jardin à Taroudanete,[1] au
Maroc.
Nous habitions une maison de
fonction avec un magnifique jardin.
Dans mes souvenirs, il est encore plus que cela.
Des fleurs de toutes les couleurs partout.
Des orangers, des citronniers, des bananiers, des arbres
dont je ne connais même pas le nom, des plantations diverses, variées.
Un enchantement.
Et la musique de l’eau.
« De l’eau, Nous avons fait toute chose vivante »,
nous dit Allaah.[2]
Le jardin disposait d’un système d’irrigation fait de
« saagyaate ».[3]
La terre accueillait cette eau avec bonheur et j’étais
heureux de tenir compagnie aux plantes qui se désaltéraient avec joie.
Une bénédiction.
C’était le début du Maroc de
« l’indépendance dans l’interdépendance ».[4]
Mon père avait été nommé à un
poste « important » et nous habitions alors cette maison de fonction
avec le magnifique jardin.
Avant nous, la maison était
occupée par une famille de colonialistes de France.
La France, pays où je suis
installé dans la vielle et petite maison avec les deux bouts de jardin.
J’arrose et je sens le bonheur de
la terre et des plantes accueillant l’eau avec reconnaissance.
Avec elles, je suis reconnaissant
à Allaah pour ce bienfait et pour tous les autres.
Et je suis heureux de partager la
joie de ces créatures qui se désaltèrent.
Il m’est arrivé plusieurs fois
d’arroser mes enfants.
Ils en redemandaient.
Je me suis arrosé moi-même
plusieurs fois, y compris en présence de mes petits-fils.[5]
J’aime observer l’eau, la
toucher, cheminer avec elle et sentir qu’elle participe à irriguer mes pensées.
Il m’a été offert plus d’une fois
de suivre des cours d’eau et d’être transporté par mes observations.
J’aime admirer les canards
évoluant paisiblement sur l’eau.
Je me souviens d’une cane et de
ses neuf petits s’adonnant aux joies de la baignade tout en apprenant à trouver
leur nourriture.
Une petite maison avec un bout de
terrain le long du cours d’eau, a éveillé en moi, encore une fois, un désir d’y
être.
Qu’Allaah m’accorde une demeure
avec l’eau qui coule, au « firdaws ala’laa ».[6]
Il m’arrive de penser aux
personnes qui ont vécu avant moi dans la maison où je suis installé.
Mes pensées vagabondent et
j’imagine des couples, des enfants qui jouent à l’intérieur et dans le jardin.
J’ai pensé aussi à la maison
après moi et j’y pense par moments.
Mes pensées continuent de
vagabonder et me transportent sur les ruines de ce qui était une humble
habitation paysanne de ma mère, de son époux[7] et de
leurs enfants.[8]
Je m’y rendais autrefois, devancé
par mon cœur.
Je partais du souq[9] à
travers la campagne.
À pied ou à dos de mulet.
L’habitation n’est plus.
Il en sera ainsi de toutes les habitations.
Et de nous tous ici-bas.
Que dire de ce qui s’en va et
comment parler de ce qui demeure ?
Que dire de ce qui cesse et
comment parler de ce qui commence ?
Que dire de ce qui a été et
comment parler de ce qui sera ?
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
« Ô être humain ! Qu’est-ce
qui t’a trompé au sujet de ton Seigneur, Le Généreux ? »[10]
Larmes.
Ces
« larmes sont-elles des perles de la pensée, comme la rosée après une nuit
noire : l’ultime de ce qu’un homme a pu ressentir et penser et que sa
plume n’a pas pu traduire en mots ? »[11]
J’aimerais tant faire marche
arrière pour refaire autrement certaines choses.
J’aimerais tant faire ce qui me
vient d’avant que je ne sois.
J’aimerais tant que mes larmes,
comme l’eau qui s’infiltre dans la terre pour la désaltérer et désaltérer les
plantes, irriguent encore et encore les graines pour que germent les fleurs de
mon cœur.
J’aimerais tant faire entendre le
murmure de l’eau qui rappelle que nous sommes à Allaah et à Lui nous
retournons.[12]
BOUAZZA
Nous avons presque toujours
eu des maisons avec de beaux jardins, mais souvent, c’est à celui de la maison
de Taroudanete que je pense.
[2]
Alqoraane (Le Coran), sourate 21 (chapitre 21), Alanebiyaa-e, Les Prophètes,
aayate 30 (verset 30).
[3] Swaaguii, swaaqii, pluriel
de saagya, saaqya (qui irrigue, rigole).
[4] Dans
les colonies (même si les colonialistes parlaient de protectorat pour le
Maroc), ce statut octroyé par le colonialisme s’est traduit par la
multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins
de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des
métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont
fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption,
l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression,
l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de
l’être humain.
[5] Ils sont deux actuellement
et vont vers les deux ans ine chaa-e Allaah (si Allaah veut).
[6] Au Paradis suprême.
[7] Son
cousin, son deuxième époux après le divorce avec mon père.
[8] Ils
ont eu trois filles et un garçon, mes sœurs et mon frère (le cadet de la fille
aînée).
Avec mon père, elle a eu
cinq enfants : trois sœurs, un frère (mon cadet) et moi.
De son premier mariage, mon
père a eu deux enfants : mon frère aîné et ma sœur décédée en 1970 (selon
le calendrier dit grégorien).
De son mariage après ma
mère, son troisième mariage, il a eu huit enfants : trois sœurs et cinq
frères.
Il a eu encore un fils avec
une autre femme : un autre frère.
Et du dernier mariage, il a
eu deux enfants : une sœur et un frère.
[9] Souk,
marché.
[10]
Alqoraane (Le Coran), sourate 82 (chapitre 82), Alinefitaar ((Le ″r″
roulé), La Fissuration, aayate 6 (verset 6).
[11]
Driss Chraïbi (Driis chraaïbii), l’Homme du Livre, Balland-Eddif (Eddif,
Maroc, 1994, Balland, France, 1995), p. 85.
[12]
Alqoraane (Le Coran), sourate 2 (chapitre 2), Albaqara, La Vache, aayate 155 et
aayate 156 (verset 155 et verset 156).
Je reprends ce dont j’ai
déjà parlé plus d’une fois.
Voir :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire