mardi 18 novembre 2014

ENCORE SUR LE RETOUR DU CORDONNIER


Avant la prière d’alfajr[1] et d’assobh,[2] je l’ai revu en rêve. [3]
Il était avec mon beau-frère, le mari de ma sœur décédée.[4]
Au niveau de la boutique, mon beau-frère mettait sur le trottoir des cartons contenant certains de mes livres.
Je lui ai fait savoir qu’il pouvait les brûler ou en faire ce qu’il voulait.
Il m’a répondu qu’il allait les vendre.
Je me suis retourné vers le compagnon de mon beau-frère pour lui dire que je le croyais mort.
Mon beau-frère a répondu qu’il était juste absent, dans la région de Marrakech, et son compagnon a précisé qu’il allait mourir dans la semaine qui allait suivre.
Avec d’autres personnes présentes, j’ai dit : ine chaa-e Allaah.[5]
Il avait les larmes aux yeux et les traits de son visage avaient subitement changé.
En me réveillant, j’avais l’impression d’avoir été réellement avec lui.
Il s’appelait Lhoçayne.[6]
Je l’ai connu dans les années soixante, à Lkhmiçaate.[7]
J’ai déjà parlé de lui, plus d’une fois.
Sa vieille boutique était devenue pour moi un espace recherché.
Je m’y rendais chaque fois que je le pouvais.
Je le trouvais souvent au travail.
Il était installé sur une sorte de dossier un peu élevé par rapport au sol, un pied de fer sans âge, à portée de la main.
En face, une petite table en bois sur laquelle étaient posés un marteau, des clous, une vieille paire de ciseaux, un couteau, une grosse aiguille à coudre, un poinçon.
Sur sa droite, un seau d’eau dans lequel il plongeait par moments une chaussure, une babouche ou autre lorsqu’il l’estimait nécessaire, pour adoucir le cuir, avant d’entamer la couture.
Il y plongeait aussi parfois le vieux couteau, dont le manche était entouré de caoutchouc, pour l’aiguiser ensuite sur une pierre posée au bord de la petite table.
Son vieux vélo était à l’intérieur, appuyé contre le mur.
À vélo, il avait fait des voyages dans différentes régions afin de voir certaines personnes qu’il estimait aptes à lui apporter certaines informations.
Le sol était jonché de morceaux de cuir de toutes dimensions et de mille et une autres choses. Je m’asseyais dessus.
Des fois avec d’autres personnes.
Et nous l’écoutions.
Tout en travaillant, il parlait de la foi, de la vie des Prophètes et des Messagers sur eux la bénédiction et la paix, et d’autres événements.
Nous débattions de tout.
Parfois, il me donnait, ou à d’autres, de vieux écrits à lire à haute voix pour qu’il en fasse le commentaire et susciter nos réactions.
Des années plus tard, il a fait la connaissance de mon épouse et de nos enfants.
Cet homme pour qui j’ai toujours eu un profond attachement et beaucoup d’affection, m’a aidé à me remplir.
Sa boutique, presque en ruine, qui avait à peine deux mètres sur deux, et qui tenait je ne sais comment, a été pour moi un vaste endroit lumineux, nourrissant, ouvert.
Fermée pendant un certain temps après sa mort,[8] elle est tombée en ruine.[9]
Ce cordonnier n’est plus de ce monde.
J’étais content de le revoir encore.[10]
  
BOUAZZA



[1] Le ʺrʺ roulé, de l’aube.
[2] De l’aurore
[3] Dans la nuit du samedi  15 novembre 2014, selon le calendrier dit grégorien.
[4] En 1970.
Elle avait vingt huit ans, et moi vingt.
[5] Si Allaah veut.
[6] Alhoçayne, Hoçayne (Hoçaïne).
[7] Khémisset, au Maroc.
[8] J’ai eu l’information ici en France.
[9] Puis rasée.

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