mardi 28 janvier 2014

DÉSARROI

J’ai reçu ce matin, ta lettre datée du 17 janvier.[1]
La situation de ton fils, mon neveu, te préoccupe et je comprends ton désarroi de père.
Dans le parcours des uns et des autres, il n’est pas aisé de saisir ce qui peut aider.
Comment parler de l’impermanence d’ici-bas ?
Que dire de la permanence de l’au-delà ?
Tout est dans le Message d’Allaah, mais nous le négligeons.
Si à un moment ton fils a pensé trouver, comme tu me l’écris, du réconfort dans Alqoraane, je souhaite qu’il approfondisse cette démarche afin de comprendre, petit à petit, les enseignements pour poursuivre sa marche dans la bonne Voie.
En effet, Allaah nous offre Son Message pour nous guérir de tous les maux.
Mais que faisons-nous de ce Message ?
Mon neveu, ton fils, te reproche de ne pas avoir amassé des biens de ce monde pour le mettre à l’abri du besoin et lui permettre de mener « la belle vie ».
Nous avons énormément de mal à saisir que c’est Allaah qui met à l’abri du besoin et que la belle vie est celle que vont vivre ceux et celles à qui Allaah aura accordé Sa miséricorde le Jour du Jugement.
Á l’âge de ton fils, même s’il a plus de vingt ans, il est encore plus difficile de comprendre cela.
Pourtant, nous sommes RESPONSABLES de nos actes dès la puberté.
Faisons-nous de notre mieux pour Adorer[2] Allaah, comme Allaah le demande ?[3]
NON.
Mohammad, l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction et la paix nous dit :
« Qu’ai-je à faire avec les biens de ce monde ?
Je suis comme un voyageur qui s’étend à l’ombre d’un arbre ; le soleil en tournant le rejoint, et il quitte cet arbre pour n’y plus revenir ».[4]
Tu peux, si tu l’estimes utile, faire lire ces quelques lignes à mon neveu à qui je souhaite la guérison et le succès dans la Voie d’Allaah.
Ibn ‘Abbaas qu’Allaah le bénisse a dit : « Un jour, je me trouvais derrière[5] le Prophète sur lui la bénédiction et la paix et il a dit :
« Ô jeune homme, je vais t’enseigner quelques paroles : Sois attentif envers Allaah, Il te protégera. Sois attentif envers Allaah, tu Le trouveras à tes côtés. Si tu demandes, demande à Allaah et si tu sollicites, sollicite Allaah et sache que si la communauté se réunissait pour qu’ils t’apportent un quelconque bienfait, ils ne t’apporteront que ce que Allaah a inscrit pour toi. Et s’ils se réunissent pour te nuire par quelque chose, ils ne te nuiront que par ce que Allaah a inscrit pour toi. Les plumes[6] sont rangées et les feuilles[7] ont séché ».[8]
Dans une autre version :
« Sois attentif envers Allaah, tu le trouveras devant toi. Rappelle-toi d’Allaah dans l’aisance,[9] Il se rappellera da toi dans la gêne.[10] Et sache que ce qui t’a manqué, n’était pas pour t’atteindre et ce qui t’atteint, n’était pas pour te manquer. Et sache que la victoire est avec l’endurance, le soulagement suit l’affliction et qu’après la difficulté[11] vient la facilité[12] ».[13]
Dans ta lettre, tu m’écris qu’Allaah peut pardonner nos égarements.
Heureusement pour nous cher frère, autrement, que pouvons-nous faire sans la miséricorde de notre Créateur ?
Allaah ne pardonne pas l’associationnisme,[14] et pardonne le reste à qui Il veut.[15]
Á nous donc de faire de notre mieux pour bénéficier du pardon d’Allaah.
Tu me parles aussi de ton prochain livre que tu penses m’envoyer : je l’attends et ne manquerai pas de te dire ce que j’en pense, ine chaa-e Allaah.
De mon côté, je continue, comme dans d’autres lettres, de te faire part de quelques textes que j’ai mis sur « le net », une manière peut-être de t’associer à « quelque chose » qu’il ne m’a pas été donné de partager avec toi en temps voulu.
« Il m’arrive, parfois, de penser à lui, dans sa blouse grise, se déplaçant dans la cour de l’établissement, comme s’il était « ailleurs ».
Et j’ai alors l’impression d’entendre la douceur des sons de son violon qui me parvenaient dans la salle au dessus de celle où il donnait des cours de musique.
Il avait passé de nombreuses années à Lkhmiçaate.[16]
Il était vieux et paraissait fragile.
Rien à voir avec son épouse,[17] qui impressionnait tous les élèves.
Très grande, la voix ferme, les traits sévères, le chignon strict, la veste masculine, les chaussures noires d’homme et le grand cartable en cuir sombre.
Après le cycle primaire, je l’ai eu comme professeur au début du secondaire.
Le même établissement scolaire[18] accueillait les deux cycles.
Son époux venait de mourir je crois.
L’enterrement n’avait pas eu lieu en France, leur pays, mais à Lkhmiçate, à « qbour nsara »,[19]le cimetière des français.
Chaque année, cette femme préparait une sorte de « rendez-vous » qui comptait énormément pour elle.
Pendant les mois de scolarité, elle s’intéressait à tous les élèves de l’établissement, observait, posait des questions, notait des noms.
Et au mois de décembre du calendrier dit grégorien, à l’occasion des fêtes dites de Noël, elle utilisait le réfectoire pour organiser un goûter aux élèves dont elle avait noté les noms tout le long de l’année, et leur distribuait des chaussures d’hiver[20].
De belles chaussures pour chauffer leurs pieds.
Beaucoup d’autres élèves en avaient besoin bien sûr, elle l’a toujours su, mais elle ne pouvait pas chausser tout le monde.
Les moyens dont elle disposait lui imposaient de ne choisir que quelques dizaines d’élèves. Ceux qu’elle estimait être les plus nécessiteux.
Des saisons ont succédé aux saisons et un jour en France, mon épouse professeur, a invité une de ses collègues et son compagnon.
Il était beaucoup plus âgé qu’elle.
Il avait plus de soixante dix ans et elle était trentenaire.
Ayant appris que j’étais élève à Lkhmiçaate, il s’était mis à me parler de l’enseignant de musique et de son épouse qui prenait soin des pieds des élèves les plus pauvres.
Sa cousine.
Elle avait regagné la France et vivait avec ses souvenirs dans un petit coin du pays.
Il m’avait donné son adresse et nous avions échangé quelques lettres.
Je lui avais parlé de son époux[21]et elle avait trouvé mon style émouvant.
Lui avais-je parlé des pieds chauffés ?
Je ne pense pas.
Elle est peut-être décédée depuis.
Son cousin aussi.
Nous sommes à Allaah et à Lui nous retournons ».[22]
  
BOUAZZA




[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Adoration, ‘ibaada.
[3] L’Islaam depuis Aadame sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
[4] Paroles  rapportées par son épouse ‘Aaicha (Aïcha) qu’Allaah la bénisse, et citées par :
Étienne. Dinet et Slimane Ben Ibrahim, la vie de Mohammed, Alger, La Maison des Livres, 1989, p.200.
[5] Sur une monture.
[6] Alaqlaame.
Les plumes qui inscrivent ce qui concerne chacun.
[7] Assohof.
L’encre utilisée pour inscrire, a séché sur les feuilles.
La totalité de l’expression souligne que personne ne peut modifier ce que Allaah a décidé.
[8] Hadiite (hadhiith, hadith) rapporté par Attirmidhii (Le r roulé).
[9] Arrakhaa-e.
[10] Achchidda.
Lorsque tu seras dans la gêne.
[11] Al’osr (le r roulé).
[12] Alyosr (le r roulé).
[13] Lorsqu’on parle de hadiite, cela renvoie à ce qui a été rapporté concernant la conduite de Mohammad, l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction et la paix.
Cela a trait à Assonna.
Assonna ne peut exister sans Alqoraane.
Alqoraane est la continuation, la synthèse et le parachèvement du Message d’Allaah.
Mohammad, l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction et la paix, a eu pour mission de le transmettre.
Alqoraane n’a de sens qu’avec Assonna et Assonna ne peut donc exister sans Alqoraane.
Assonna procède d’Alqoraane.
[14] Achchirk (le ʺrʺ roulé).
[15]Les attributs divins que s’arrogent des individus, ou qui leur sont reconnus, se traduisent par  L’associationnisme, achchirk″.
L’associationnisme porte atteinte au fondement du Message d’Allaah, attawhiid.
Allaah ne pardonne pas qu’on Lui associe quoi que ce soit et pardonne le reste à qui Il veut.
Alqoraane (Le Coran), sourate 4 (chapitre 4), Anniçaa-e, Les Femmes, aayate 48 (verset 48).
Quiconque associe quoi que ce soit à Allaah, c’est comme s’il tombait du ciel et que les oiseaux le happaient ou que le vent le précipitait dans un abîme sans fond.
Alqoraane (Le Coran), sourate 22 (chapitre 22), Alhajj, Le Pèlerinage, aayate 31 (verset 31).
[16] Khémisset.
[17] C’était sa deuxième épouse.
[18] Mouçaa Ibn Noçayr (le "r" roulé).
C’était une école primaire dite "franco-musulmane" au temps du colonialisme français, à laquelle s’est ajouté le collège.
L’établissement est devenu lycée par la suite.
Lors de mon retour à Lkhmiçaate de 1977 à 1981, j’ai pu obtenir avec l’aide d’un ami de mon père, un poste d’enseignante contractuelle pour mon épouse, dans ce lycée.
Détentrice d’une maîtrise d’italien (langue qu’elle a enseignée dans un collège en France) et d’une licence de français, elle a interrompu son activité d’enseignante en France pour m’accompagner.
De retour en France, elle a eu un poste d’enseignante dans le secondaire, jusqu’à sa retraite.
[19] Les tombes des Nazaréens (des chrétiens).
Ce cimetière était mitoyen d’un bidonville connu pour la prostitution.
Lorsqu’on disait ʺqbour nsaraʺ à Lkhmiçaate, cela se traduisait souvent par putes.
[20] Il fait froid à Lkhmiçaate, l’hiver.
Lyautey, le résident général de la France colonialiste disait du Maroc que ʺc’est un pays froid où le soleil est chaudʺ.
[21] Je ne lui avais pas parlé bien entendu de ce que j’avais appris sur son époux par son cousin, à savoir par exemple, que l’enseignant de musique avait choisi l’exil pour essayer de guérir une profonde blessure causée par sa première épouse, qui s’est livrée à l’adultère.

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