mercredi 17 avril 2013

UN HOMME DE GAUCHE



Lorsque le véhicule est arrivé à la « téci »,[1] la fête battait son plein comme disent les « loisgau ».[2]
Tout va bien se passer, ine chaa-e Allaah.[3]
Chez les parents du marié, un de leurs amis anime, à sa manière, un échange avec François, un homme de gauche qui parle des immigrés.
Après un rappel de prises de positions, de résolutions des congrès du parti et de contre résolutions, François pensait avoir fait de l’effet :
- Tu comprends maintenant que nous avons raison.
Alors, je vais parler avec franchise.
- Ji croyi qui ji boufi barli oussi, mi si ti fou barli afic Franchise, ji ti lisse.
- Non, tu n’as pas compris ce que je veux dire.
Franchise ce n’est pas le nom d’une personne, c’est une expression.
Cela signifie parler clairement.
- Mi ji sui bite.
- Non, tu n’es pas bête, c’est une incompréhension, c’est tout.
Les subtilités de la langue, ce n’est pas évident.
Bon, je vais éviter ce qui est complexe.
Je ne vais pas reprendre les trois points que j’ai développés, mais il faut retenir les trois.
La problématique migratoire en fait est simple, il suffit d’une approche objective, tu vois ?
Au fait tu permets que je te tutoie ?
- Toi toui moi ?
-Non, moi je ne suis pas toi et toi tu n’es pas moi, ça c’est sûr, c’est certain.
Moi c’est moi et toi c’est toi.
-Toi fouloir toui moi
- Non, pas du tout, moi pas vouloir tuer toi, je veux dire que je ne veux pas te tuer.
Tutoyer au lieu de vouvoyer, c’est plus sympathique.
- Saint Batique, ji foi.
- Tu vois, alors c’est bien.
Toi par exemple, est-ce que tu es assimilé ?
- Non, ji ni sui ba assis-mili.
- Est-ce que tu es intégré ?
- Non, ji ni sui ba in tigri.
- Est-ce que tu es inséré ?
- Non, ji ni sui ba in ciri.
- Est-ce que tu es syndiqué ?
- Non, ji ni sui ba saint Diki.
- Tu es donc pour l’islam.
-Ji sui bour lisse lame, ça coube.
- Pour couper, ça coupe, et la ¨cité ?
- Lalla citi,[4] ji couni.
- La gauche veut la fleurir.
-Ci coua la gouche ?
- Le contraire de la droite.
Nous la gauche, nous défendons réellement la laïcité qui renforce l’insertion et l’intégration pour déboucher sur l’assimilation.
- À coua ?
- À la République.
- La ri-biblique ?
La droite dit la même chose, mais ce n’est pas pareil.
Nous l’expliquons clairement dans notre brochure qui est en vente partout.
J’en ai plein dans le coffre de ma voiture.
Si tu veux, nous pouvons saisir l’occasion de cette fête pour la vendre ensemble.
L’assistance autour a dépassé le stade de l’hilarité.
En face du balcon, un chat dort.[5]
Tout le monde connaît l’humour de l’ami des parents du marié, docteur d’université en droit, et personne ne comprend comment François peut continuer à faire le sérieux.
- Alors on va la chercher cette brochure.
-Ine outre foi moun zami.
- Une autre fois, une autre fois, toujours une autre fois…inchala[6]
Mais pourquoi ils rient tous comme ça ?
Ce n’est pas drôle, ils ne comprennent rien ou quoi ?
Savez-vous que moi, c’est pour vous que je fais tout ça ?
Oui pour vous, que vous le vouliez ou non.
Et j’aimerais savoir ce que vous pensez, s’il vous arrive de penser bien sûr.
Une personne est alors intervenue pour éloigner François :
- Nous pensons que la mariée et son époux sont à voir.
Elle s’appelle Clémence et lui Bilaal.
Ils restituent une immémoriale harmonie, qui n’est ni d’Orient, ni d’Occident.
Chaque fois que je suis dans un cadre pareil, je sens une éclosion des sens, la mère du printemps, une naissance à l’aube et un ruissellement de paix.
François avait l’air d’écouter, mais n’entendait pas.
Il ne pensait qu’à son allure d’homme de gauche, agissant sur les événements.
Il est important et les masses vont voir qu’il fait partie des Grands.
Et à l’école, les enfants apprendront son Histoire.
Avec hache majuscule.[7]
 
BOUAZZA


[1] Cité.
Vocable désignant un ensemble de bâtiments délabrés, pour personnes reléguées en marge de la ville.
[2] Les gaulois.
C’est ainsi que les jeunes de la cité, des français issu du processus migratoire, désignent les français dits de souche.
[3] Si Allaah veut.
[4] Dame-cité.
[5] Non, pas un ″tchador″ : Un chat dort.
Un tchador c’est un terme iranien, très employé par la gauche et la droite, pour renvoyer au foulard porté par des croyantes pour se couvrir les cheveux.
Il est considéré par la gauche et la droite, ennemis des croyantes et des croyants, comme une atteinte intolérable aux droits des femmes.
Ces ennemis usent aussi du terme voile avec des connotations de mépris, des attaques, des insultes, des dénigrements, des injures, des accusations, des mensonges, des calomnies, des falsifications, des maltraitances, des humiliations, des marginalisations, des menaces, et de multiples autres agressions.
Des textes ont été mis en place pour interdire le tchador, le voile, le foulard dans des lieux dits publics de la ré-pub-lique.
[6] Intégré comme mot (et non comme expression) dans le parler français et utilisé, dans un sens qui n’a rien à voir avec la signification originelle, par les colonialistes au départ puis par d’autres par la suite, pour traduire que les indigènes de pays colonisés y avaient recours, lorsqu’ils ne voulaient pas faire quelque chose.
Une manière polie de dire non, une façon qui veut dire en fait : tu peux toujours attendre.
Dans certaines régions comme le Maroc, ces indigènes ont été appelés les béni oui oui (les enfants de oui oui) par les colonialistes, car ils répondaient toujours oui oui et n’osaient jamais répondre non.
[7] Je reprends ce dont j’ai déjà parlé plus d’une fois et en premier lieu dans un texte de plusieurs dizaines de pages, daté de 1992 et intitulé "Ainsi parle un musulman de France né au Maroc".
Voir :

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