Assis
sur un canapé, je suis l’envol de mes pensées.
Ce
lieu qui venait de retentir et que je ne connais que de nom, évoque pour moi le
défunt Driis Chchraaibii,
qui s’y
était installé, autrefois jadis,
avant
l’invasion touristique.
Exilé
du Maroc, il cherchait aussi à s’exiler d’une certaine France.
Écrivain
d’origine d’Afrique, il est arrivé en France en 1945
pour
suivre des études universitaires.
Il
s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la fin de son existence
ici-bas, survenue le premier avril 2007, à l’âge de 81 ans.
Lorsqu’il
avait débarqué en France, il n’avait pas encore vingt ans.
Sa
formation universitaire ne lui a pas servi à faire une carrière
professionnelle.
J’ai beaucoup lu cet écrivain, avec qui je ne manque pas
de points communs.
J’aurais aimé le rencontrer pour échanger de vive voix
sur plusieurs points.
Dans un de ses écrits, il
parle d’un père dans un moment difficile qui dit ne rien avoir à transmettre à
ces deux enfants et ajoute que tout ce qu’il peut faire, c’est de s’asseoir
entre eux sur le canapé.
J’avis sur l’écran de l’ordinateur une photo que je
regardais chaque fois que je faisais marcher cet appareil.
En la regardant, il m’arrivait de penser à l’écrivain.
Sur cette photo, prise durant l’été 1992, je suis sur le
canapé entre mes deux fils que je serre dans mes bras.
Être père est un bienfait qu’Allaah, dans Son infinie générosité,
m’a destiné avant même que je ne sois ici-bas.
Je Lui suis reconnaissant et l’invoque pour qu’Il nous
couvre de Sa miséricorde.
Je regardais la photo où apparaît sur le mur, une petite
partie d’une fine couverture blanche avec des motifs où le bordeaux domine et
d’autres traits colorés entre ces motifs.
Couverture
tissée par ma mère.
L’écrivain a-t-il su être père ?
Après sa mort,
une de ses petites-filles a déclaré qu’elle ne l’avait jamais vu.
Il a
beaucoup écrit pour exprimer une sorte de « nostalgie de l’enfance »,
pour ne pas « oublier ».
« Voilà
le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute
une vie. Avant la science, avant la civilisation et la conscience. Et peut-être
y retournerai-je pour mourir en paix,
un jour
…
Voilà
le paradis où nous vivions autrefois : arbre de roc, la montagne plongeant
abruptes ses racines dans les entrailles de la mer. La terre entière, humanité
comprise, prenant source de vie dans l’eau. L’Océan montant à l’assaut du ciel
le long de la falaise et, jusqu’aux cimes, le long des cèdres hérissés.
Un
cheval blanc court et s’ébroue sur la plage. Mon cheval. Deux mouettes
s’enlacent dans le ciel. Une vague vient du fond du passé et, lente,
dandinante, puissante, déferle. Explose et fait exploser les souvenirs comme
autant de bulles d’écume.
Souffrance
et amertume d’avoir tant lutté pour presque rien : pour être et pour
avoir, faire et parfaire une existence ─ tout, oui, tout est annihilé par la
voix de la mer. Seule subsiste la gigantesque mélancolie de l’autrefois, quand
tout était à commencer, tout à espérer. Naissance à soi et au monde.
Une
autre vague vient par-dessus la première et fulgure. Etincelle et ruisselle
d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par-delà les rives du temps, de
l’éternité à l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant et se
renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende, toutes
ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix … »
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Neuf grossesses.
Neuf accouchements.
Cinq enfants de ton premier mariage.
Trois filles et deux garçons.
Ta
confiance a été trahie.
Divorcée,
ton mari, mon père,
de par
sa position, a gardé les enfants.
J’avais trois ans.
Mon frère moins de deux ans.
Tu es retournée chez tes parents.
Des paysans pauvres.
Tu
ne savais plus sentir la lumière.
Les
feuilles s’étaient étiolées.
Les
branches s’étaient affaiblies.
L’arbre
était à l’agonie.
Mais
par la miséricorde d’Allaah, tu avais encore la sève.
Les
feuilles renaissent.
Les
branches se revitalisent.
L’arbre
consolide ses racines et s’élève dans les cieux.
Tu as épousé ton cousin.
Un paysan pauvre que j’ai toujours aimé.
Grossesses.
Accouchements.
Trois autres soeurs et un frère.
J’allais
te voir parfois.
Á
pied ou à dos de mulet, à partir du souq
de
Tiddaas.
Quelques
kilomètres en pleine campagne.
Jusqu’à
l’humble demeure.
Devancé
par mon cœur.
Je
fixe ton sourire.
Il
sent l’aube de la Vie.
Je te regarde pétrir.
Tes doigts fins caressent la pâte avec amour.
De
temps à autre, tu ajoutes une petite branche de bois dans le four fait par
toi-même.
Un
four de terre, en forme de bol renversé avec une ouverture devant pour allumer
le feu et introduire le pain à faire cuire, puis une ouverture au milieu pour
dégager la fumée.
Par
moments, la flamme éclaire ton visage et lui donne plus de chaleur.
Ton
silence m’a souvent dit l’essentiel.
Les
étoiles qui embellissent le ciel sont dans tes yeux.
J’ai
mis du temps pour comprendre.
Que
dire de ce qui s’en va et comment parler de ce qui demeure ?
Que
dire de ce qui cesse et comment parler de ce qui commence ?
Que
dire de ce qui a été et comment parler de ce qui sera ?
« J’étais
issu de l’Orient et des traditions de l’orient. J’avais été instruit et éduqué
dans des écoles d’occident. Et non seulement la greffe avait pris, mais l’arbre
n’avait jamais donné autant de fruits. Je l’ai pris alors à deux bras et je
suis parti vers cet occident d’où venaient toutes sortes de » greffes. Et
voici : c’était comme si j’avais transporté avec moi tout un lambeau de terre,
tout un monde. Et le monde vers lequel je me dirigeais m’a semblé froid, fermé
et hostile. Comment dire ? Les fruits se sont desséchés sur l’arbre et, au
bout de seize ans, je n’avais pas encore trouvé un seul petit lopin de terre où
enterrer mon arbre mort depuis longtemps [...]
Et,
assis entre deux portes fermées, j’ai tant crié à la fraternité humaine et à la
connaissance mutuelle que j’en suis devenu malade, insomniaque et tressautant
au vol d’une simple mouche. Et, par contre-coup, dans ma solitude, je me suis
recrée une terre natale couleur de mirages et de vérité. Écoutez : c’est
ici,
dans les bidonvilles de vos cités de béton, que j’ai redécouvert l’Islam. Vous
m’entendez, vous tous ? »
Douceur d’automne.
Nuages d’hiver.
Ciel bleu du printemps.
Chaleur du soleil l’été.
J’avais sept ou huit ans et nous habitions au quartier de
l’Océan à Rabat.
La
maison avait un patio où j’aimais jouer.
Ma
belle-mère, mes sœurs, mes frères et moi occupions le rez-de-chaussée.
Mon
père avait le premier étage où son épouse le rejoignait la nuit.
Pour
y accéder, le père passait cependant par le rez-de-chaussée et y restait un peu
parfois.
Il fallait emprunter les allées du
territoire du père pour monter à la terrasse.
Cette
terrasse était un lieu enchanteur.
Et
c’est à cet endroit que j’ai eu des sensations qu’il m’est difficile
aujourd’hui encore, de décrire avec des mots.
Un
jour, j’y suis resté un long moment.
Il
faisait beau.
La
terrasse voisine était couverte d’une toile qui la transformait en une sorte de
grande tente. C’était la fête.
J’écoutais.
Je
pouvais regarder aussi et ne me privais pas de le faire.
Je
ne sais pas comment les choses se sont passées, mais subitement, elle était
devant moi.
Au
milieu des chants et d’innombrables personnes.
Je
ne regardais qu’elle.
Je
n’avais jamais vu quelqu’un comme elle.
J’étais
transporté.
Elle
était radieuse.
C’était
une femme, mais pour moi c’était « autre chose ».
Je
ne savais pas quoi.
Je
pensais qu’elle ne regardait que moi et j’avais la sensation qu’elle me
caressait du regard, me transmettait l’affection, m’offrait l’amour.
Une
coulée de bonheur.
Ma
belle-mère m’a expliqué que j’avais vu la mariée.
La
signification exacte m’échappait un peu et j’avais une forte envie de rejoindre
cette femme et de rester avec elle.
C’est
peut-être à partir de cette époque que le mariage est devenu pour moi un
symbole fort que les mots peinent à décrire.
Je me suis marié depuis.
Qu’est devenue la femme de la terrasse ?
Les années ont succédé aux années.
Des
feuilles descendent des arbres et étreignent le sol.
Étalage
de couleurs.
Une
frêle toile d’araignée.
Une
abeille poursuit son exploration.
Deux
lapins regardent au loin.
Un
couple d’oiseaux répand des glorifications.
Murmures sous les pieds, de parures d’arbres défeuillés.
Nuages changeant de forme.
Instants de pluie fine.
Caresses de vent.
Coulée de sérénité.
Ruissellement
de paix.
Battements du cœur, tels les battements du cœur de la mère,
que l’enfant béni garde en lui.
Reconnaissance.
Sont-ils
égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
Lire
le temps et l’espace.
Se
voir dans d’autres yeux.
Déchiffrer
leur langage.
Sont-ils
égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
Recevoir.
Donner.
Transmettre.
Sont-ils
égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
Comprendre
le hennissement des chevaux.
Marcher
au rythme de leur galop.
Se
souvenir de l’engagement.
Sont-ils
égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
S’abreuver
à la Source.
S’irriguer.
Voir
les mots en mouvement.
Saisir
le Sens.
Renforcer
le Lien.
Sont-ils
égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?
« Par
le soleil et par sa clarté.
Par
la lune quand elle le suit.
Par
le jour quand il l’éclaire.
Par
la nuit quand elle l’enveloppe.
Par
le ciel et par Celui qui l’a construit.
Par la
terre et par Celui qui l’a étendue.
Par
l’âme et par Celui qui l’a harmonieusement façonnée.
Et
lui a inspiré son immoralité et sa piété.
A
réussi celui qui l’a purifiée.
Et a
perdu celui qui l’a corrompue ».
Cycle
fabuleux.
Voie
du destin de chaque être et donc de l’enfant, qui n’appartient ni au père, ni à
la mère, et qui doit accomplir ce pourquoi il est ici-bas
Des jeux
de petits-enfants sèment des couleurs de joie.
Aident
à saisir encore plus profondément le Sens, et à mieux renforcer le Lien.
Un
autre bienfait d’Allaah, qui a fait de nous un garçon et une fille, un homme et
une femme, un époux et une épouse, un père et une mère, un grand-père et une
grand-mère.
Qui
nous a offert l’Islaam.
BOUAZZA
J’ignorais lorsque je lui avais écrit, qu’il allait se
rendre au Maroc, et y être reçu par des ʺofficielsʺ du régime de l’imposture.
Mon frère aîné, ʺhaut fonctionnaire du ministère de
l’intérieurʺ à l’époque, ayant appris l’envoi de ma part du texte, avait chargé
une de nos sœurs de me contacter pour me demander, de sa part, de ne plus
remettre d’écrit à ce personnage.
″Et lorsque ton Seigneur tira des reins des fils
d’Aadame leur progéniture et les fit témoigner contre eux-mêmes : ″Ne suis-Je pas votre Seigneur ?″ Ils dirent : ″Si, nous en
témoignons″
Il s’agit du fameux pacte pris par Allaah sur la race
humaine dès sa création. C’est un acte de foi et d’allégeance selon lequel les
enfants d’Adame sur lui la bénédiction et la paix, reconnaissent et attestent
qu’Allaah est leur Seigneur-et-Maître en exclusivité et sans restriction
aucune.
Donc chaque être humain est lié à sa naissance par ce
pacte et s’il renie son Seigneur-et-Maître ou Lui donne quelque associé, il a
manqué à son engagement et commis la plus grosse injustice.
L’Islaam, depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction
et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah
le demande.
L’Islaam n’est pas une question d’ethnie, de tribu, de
clan, de classe sociale, de sexe, de couleur, de langue, de parti politique, de
pays, de nationalité, d’Etat.
Les représentations, les fantasmes, les mythes et tout
ce qui en découle, ne peuvent jamais anéantir cette Vérité.