mardi 23 septembre 2014

LE RETOUR DU CORDONNIER


Après la prière d’alfajr[1] et d’assobh,[2] je me suis rendormi et je l’ai vu en rêve. [3]
Je me sentais vraiment avec lui.
Il venait d’arriver à sa boutique et était encore à l’extérieur, en pleine forme, rajeuni même.
Je lui ai tout de suite fait part de mon étonnement de le voir en vie.
Il m’a fait savoir que la nouvelle de sa mort a été répandue, mais qu’il n’était pas mort.
J’ai jeté un coup d’oeil à la boutique ouverte.
Elle était vide, nettoyée et du ciment apparaissait encore sur un mur refait.
Je me suis de nouveau adressé à lui pour lui dire que lorsque sa mort m’a été annoncée, j’ai demandé que des photos de sa boutique me soient envoyées en France,[4] mais que l’un de ses fils[5] a prétexté ne pas être en mesure d’ouvrir la boutique afin que les photos soient faites.
Il a écouté et m’a demandé que nous allions voir ce fils.
C’est alors que je me suis réveillé.
Il s’appelait Lhoçayne.[6]
Je l’ai connu dans les années soixante.
J’ai déjà parlé de lui, plus d’une fois.
Sa vieille boutique était devenue pour moi un espace recherché.
Je m’y rendais chaque fois que je le pouvais.
Je le trouvais souvent au travail.
Il était installé sur une sorte de dossier un peu élevé par rapport au sol, un pied de fer sans âge, à portée de la main.
En face, une petite table en bois sur laquelle étaient posés un marteau, des clous, une vieille paire de ciseaux, un couteau, une grosse aiguille à coudre, un poinçon.
Sur sa droite, un seau d’eau dans lequel il plongeait par moments une chaussure, une babouche ou autre lorsqu’il l’estimait nécessaire, pour adoucir le cuir, avant d’entamer la couture.
Il y plongeait aussi parfois le vieux couteau, dont le manche était entouré de caoutchouc, pour l’aiguiser ensuite sur une pierre posée au bord de la petite table.
Son vieux vélo était à l’intérieur, appuyé contre le mur.
À vélo, il avait fait des voyages dans différentes régions afin de voir certaines personnes qu’il estimait aptes à lui apporter certaines informations.
Le sol était jonché de morceaux de cuir de toutes dimensions et de mille et une autres choses. Je m’asseyais dessus.
Des fois avec d’autres personnes.
Et nous l’écoutions.
Tout en travaillant, il parlait de la foi, de la vie des Prophètes et des Messagers sur eux la bénédiction et la paix, et d’autres événements.
Nous débattions de tout.
Parfois, il me donnait, ou à d’autres, de vieux écrits à lire à haute voix pour qu’il en fasse le commentaire et susciter nos réactions.
Des années plus tard, il a fait la connaissance de mon épouse et de nos enfants.
Cet homme pour qui j’ai toujours eu un profond attachement et beaucoup d’affection, m’a aidé à me remplir.
Sa boutique, presque en ruine, qui avait à peine deux mètres sur deux, et qui tenait je ne sais comment, a été pour moi un vaste endroit lumineux, nourrissant, ouvert.
Fermée pendant un certain temps après sa mort,[7] est tombée en ruine.[8]
Ce cordonnier n’est plus de ce monde.
J’étais content de le revoir.[9]
  
BOUAZZA



[1] Le ʺrʺ roulé, de l’aube.
[2] De l’aurore
[3] Le samedi  13 septembre 2014, selon le calendrier dit grégorien.
[4] J’avais réellement demandé cela à l’un de mes beaux-frères installé à Lkhmiçaate, mais il n’a pas pu accéder à la boutique.
[5] Coiffeur à Lkhmiçaate (Khémisset, agglomération au Nord du Maroc).
[6] Alhoçayne, Hoçayne (Hoçaïne).
[7] J’ai eu l’information ici en France.
[8] Puis rasée.

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