Après la prière d’alfajr
et d’assobh, je me
suis rendormi et je l’ai vu en rêve.
Je me sentais vraiment avec lui.
Il venait d’arriver à sa boutique et était encore
à l’extérieur, en pleine forme, rajeuni même.
Je lui ai tout de suite fait part de mon
étonnement de le voir en vie.
Il m’a fait savoir que la nouvelle de sa mort a
été répandue, mais qu’il n’était pas mort.
J’ai jeté un coup d’oeil à la boutique ouverte.
Elle était vide, nettoyée et du ciment
apparaissait encore sur un mur refait.
Je me suis de nouveau adressé à lui pour lui dire
que lorsque sa mort m’a été annoncée, j’ai demandé que des photos de sa
boutique me soient envoyées en France,
mais que l’un de ses fils
a prétexté ne pas être en mesure d’ouvrir la boutique afin que les photos
soient faites.
Il a écouté et m’a demandé que nous allions voir
ce fils.
C’est alors que je me suis réveillé.
Je l’ai connu dans les années soixante.
J’ai déjà parlé de lui, plus d’une fois.
Sa
vieille boutique était devenue pour moi un espace recherché.
Je
m’y rendais chaque fois que je le pouvais.
Je
le trouvais souvent au travail.
Il
était installé sur une sorte de dossier un peu élevé par rapport au sol, un
pied de fer sans âge, à portée de la main.
En
face, une petite table en bois sur laquelle étaient posés un marteau, des
clous, une vieille paire de ciseaux, un couteau, une grosse aiguille à coudre,
un poinçon.
Sur
sa droite, un seau d’eau dans lequel il plongeait par moments une chaussure,
une babouche ou autre lorsqu’il l’estimait nécessaire, pour adoucir le cuir,
avant d’entamer la couture.
Il y
plongeait aussi parfois le vieux couteau, dont le manche était entouré de
caoutchouc, pour l’aiguiser ensuite sur une pierre posée au bord de la petite
table.
Son
vieux vélo était à l’intérieur, appuyé contre le mur.
À vélo, il avait fait des voyages dans
différentes régions afin de voir certaines personnes qu’il estimait aptes à lui
apporter certaines informations.
Le
sol était jonché de morceaux de cuir de toutes dimensions et de mille et une
autres choses. Je m’asseyais dessus.
Des
fois avec d’autres personnes.
Et
nous l’écoutions.
Tout
en travaillant, il parlait de la foi, de la vie des Prophètes et des Messagers
sur eux la bénédiction et la paix, et d’autres événements.
Nous
débattions de tout.
Parfois,
il me donnait, ou à d’autres, de vieux écrits à lire à haute voix pour qu’il en
fasse le commentaire et susciter nos réactions.
Des
années plus tard, il a fait la connaissance de mon épouse et de nos enfants.
Cet
homme pour qui j’ai toujours eu un profond attachement et beaucoup d’affection,
m’a aidé à me remplir.
Sa
boutique, presque en ruine, qui avait à peine deux mètres sur deux, et qui
tenait je ne sais comment, a été pour moi un vaste endroit lumineux,
nourrissant, ouvert.
Fermée
pendant un certain temps après sa mort,
est
tombée en ruine.
Ce
cordonnier n’est plus de ce monde.
J’étais
content de le revoir.
BOUAZZA