dimanche 22 décembre 2013

ENCORE VIVANT ?

Comme tu le sais, au Maroc, lorsque quelqu’un ne donne pas de ses nouvelles, puis se manifeste subitement auprès d’une personne, celle-ci, pour marquer un certain « étonnement », sans chercher spécialement à être « provocatrice », lui demande parfois s’il est encore vivant, en s’exclamant : baaqii hayy ?[1]
Je ne sais pas si cette expression est toujours utilisée, mais elle m’est venue spontanément lorsque tu m’as téléphoné, après un certain temps sans nouvelles de ta part.
De temps à autre, j’ai recours à cette expression.
Je ne te cache pas que certaines personnes avec qui je l’ai utilisé, m’ont reproché, sans le dire,[2] de vouloir leur mort.
Leur reproche n’est pas fondé bien sûr, mais j’ai senti qu’en « t’accueillant » ainsi, je t’ai mis mal à l’aise.
Je tiens donc à souligner que pour moi, cette expression exprime, tout simplement, une sorte « d’étonnement ».
Tu m’as fait part, encore une fois, du fait que tu ne reçois pas mon courrier et je t’ai répété que beaucoup de choses envoyées de France, ne sont pas remises aux destinataires au Maroc.
J’ai envoyé des lettres qui n’ont jamais été remises.
Et je continue d’en envoyer.
Je t’ai fait savoir un jour que dans les années-quatre-vingts,[3] après la soutenance d’une thèse de doctorat d’université en droit international public,[4] j’ai envoyé par la poste, en recommandé, un exemplaire de cette thèse, à Kariim Al’amraanii,[5] Directeur de l’Office des Phosphates, qui faisait fonction de « premier ministre » et que je n’ai jamais su si la police du régime de l’imposture qu’il a toujours servi, a donné l’autorisation pour que l’envoi lui soit remis.
Dans les années deux mille, tu ne le sais peut-être pas, j’ai envoyé à une personne de la famille un CD[6] contenant mon travail sur « comment accomplir la prière en Islaam ».
Mon envoi a été saisi par la DST[7] et la personne destinataire a été soumise à un interrogatoire qui, par la miséricorde d’Allaah, n’a pas eu de suites fâcheuses, ni pour elle, ni pour d’autres.[8]
Il n’y a pas que la police qui s’attribue le « droit » de faire ce qu’elle veut, du courrier et autres, « au pays où la nature est restée naturelle ».[9]
Il y a lieu de ne jamais oublier, que c’est une contrée où le vol, par exemple, est généralisé.
Tu le sais bien.
Des « fonctionnaires » par exemple, n’hésitent en aucun cas à s’adonner à cette pratique, y compris lorsqu’il s’agit de courrier.
Ce virus, transmis y compris par des membres de la même famille,[10] fait partie intégrante de la pourriture qui dégouline de partout dans cette région où le régime de l’imposture continue de répandre la puanteur.
D’autres explications existent bien sûr, mais je n’ai pas envie d’essayer de les passer en revue, car cela ne change rien au mépris qui règne depuis des lustres au Maroc, en violation des droits les plus élémentaires des populations.
Tu le sais.
Internet peut nous permettre de contourner certains obstacles, mais tu refuses d’utiliser cet outil.
Je vais donc continuer à envoyer le courrier par la poste, car les envois ne disparaissent pas toujours.
Tu m’as appris que tu vas bientôt publier un autre livre et tu m’as promis de me l’envoyer avec notre neveu[11] qui m’a apporté tes autres livres cet été.
Comme pour les autres livres, je te dirai, ine chaa-e Allaah, ce que j’en pense, au risque que mon approche ne soit pas appréciée.
Il arrive, en effet, que cette approche ne plaise pas aux individus qui n’aiment pas qu’un chat, soit appelé un chat.
Tu sais bien cher frère, qu’en Islaam,[12] un tricheur est appelé un tricheur, un falsificateur, un falsificateur, un menteur, un menteur, un voleur, un voleur, un usurpateur, un usurpateur, un imposteur, un imposteur, un pervers, un pervers et ainsi de suite.
Ces individus ne l’admettent pas et s’obstinent dans le refus d’écouter et de réfléchir.
Parmi eux, certains se lancent dans une phraséologie creuse, afin d’essayer d’écarter ce qui ne leur plaît pas et reprochent à celui et à celle qui appellent un chat, un chat, de ne pas accepter les individus tels qu’ils sont, de vouloir la contrainte, de s’opposer à l’élargissement du champ d’exploration, de rejeter l’esprit critique, de refuser le dialogue, de ne pas respecter l’ouverture, de redouter le changement, d’être rigides, de faire preuve de suffisance et d’avoir la prétention de posséder la science infuse.[13]
Écouter et réfléchir.
« Lkhrraaz »[14] Lhouçayne à Lkhmiçaate,[15] a beaucoup contribué à ma formation dans ce domaine.
Quel souvenir gardes-tu de lui ?
Sa vieille boutique était pour moi un espace recherché.
Je m’y rendais chaque fois que je le pouvais.
Lorsque je vivais avec notre défunte sœur,[16] dont le logement était presque attenant à cette boutique,[17] je m’y rendais très souvent.
Je le trouvais souvent au travail.
Il était installé sur une sorte de dossier un peu élevé par rapport au sol, un pied de fer sans âge, à portée de la main.
En face, une petite table en bois sur laquelle étaient posés un marteau, des clous, une vieille paire de ciseaux, un couteau, une grosse aiguille à coudre, un poinçon.
Sur sa droite, un seau d’eau dans lequel il plongeait par moments une chaussure, une babouche ou autre lorsqu’il l’estimait nécessaire, pour adoucir le cuir, avant d’entamer la couture.
Il y plongeait aussi parfois le vieux couteau, dont le manche était entouré de caoutchouc, pour l’aiguiser ensuite sur une pierre posée au bord de la petite table.
Son vieux vélo était à l’intérieur, appuyé contre le mur.
À vélo, il avait fait des voyages dans différentes régions afin de voir certaines personnes qu’il estimait aptes à lui donner des enseignements sur l’Islaam.
Le sol était jonché de morceaux de cuir de toutes dimensions et de mille et une autres choses. Je m’asseyais dessus.
Des fois avec d’autres personnes.
Et nous l’écoutions et réfléchissions.
Tout en travaillant, il parlait de la foi, de la vie des Prophètes et des Messagers sur eux la bénédiction et la paix et d’autres événements.
Nous débattions de tout.
Parfois, il me donnait ou à d’autres, de vieux écrits à lire à haute voix pour qu’il en fasse le commentaire et susciter nos réactions.
Cet homme pour qui j’ai toujours eu un profond attachement et beaucoup d’affection, m’a aidé à me remplir.
Sa boutique, presque en ruine, qui avait à peine deux mètres sur deux, et qui tenait je ne sais comment, a été pour moi un vaste endroit ouvert, nourrissant, lumineux.
Ce cordonnier n’est plus de ce monde.[18]
Sa vieille boutique, fermée pendant un certain temps après sa mort,[19] est tombée en ruine.[20]
Je venais de finir de t’écrire, lorsque j’ai reçu les deux dernières lettres que je t’ai envoyées et qui ne te sont pas parvenues.
Elles sont revenues avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée » !
C’est vrai que tu n’y habites que depuis une quarantaine d’années et que les lettres qui ont franchi tous les obstacles pour te parvenir, y compris certaines envoyées par moi, ont dû te confondre avec quelqu’un d’autre.
J’arrête de « blaguer » pour te dire que je remettrai pour toi, ine chaa-e Allaah, les deux lettres qui m’ont été retournées et celle-ci également, à notre neveu lorsqu’il passera.
Le fait que les lettres me soient retournées, ne change rien quant au fond, à tout ce que j’ai dit sur le vol au Maroc et la puanteur qui y règne.
Cette fois, l’explication est autre, mais ne bouleverse pas les données de la situation.
Qu’Allaah nous pardonne et nous couvre de Sa miséricorde.[21]
BOUAZZA





[1] Expression en marocain parlé, arabe dit "darija".
[2] Le Maroc est une contrée où dans leurs relations, beaucoup de personnes cultivent, depuis des lustres, le "non-dit".

[3] Selon le calendrier dit grégorien.
[4] Thèse sur le Sahara Occidental.
Il m’est déjà arrivé de parler des raisons pour lesquelles j’ai adressé un exemplaire de cette thèse à cet individu.
[5] Karim Lamrani.
[6] Compact Disc.
[7] Abréviation de Direction de la Surveillance du Territoire, un service de la police du régime de l’imposture, service connu pour les enlèvements, la torture, les disparitions, les éliminations et autres crimes.
[8] Un CD sur la prière en Islaam, représente un danger selon ce service de police, dans un pays dit "musulman".
[9] Vieux slogan d’une publicité pour attirer "les touristes".
[10] De la nôtre et d’innombrables autres.
[11] Un neveu qui se rend de temps à autre en France dans le cadre de ses activités professionnelles.
[12] L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
[13] L’énumération n’est pas exhaustive.
[14] Le cordonnier.
[15] Khémisset.
[16] Elle est morte en 1970.
Qu’Allaah lui pardonne et la couvre de Sa miséricorde.
[17] J’étais alors collégien.
[18] Qu’Allaah lui pardonne et le couvre de Sa miséricorde.
[19] L’information m’est parvenue en France.
[20] Puis rasée.
[21] Je reprends beaucoup de ce dont j’ai déjà parlé.
Voir :

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