Comme
tu le sais, au Maroc, lorsque quelqu’un ne donne pas de ses nouvelles, puis se
manifeste subitement auprès d’une personne, celle-ci, pour marquer un certain
« étonnement », sans chercher spécialement à être
« provocatrice », lui demande parfois s’il est encore vivant, en
s’exclamant : baaqii hayy ?[1]
Je
ne sais pas si cette expression est toujours utilisée, mais elle m’est venue
spontanément lorsque tu m’as téléphoné, après un certain temps sans nouvelles
de ta part.
De
temps à autre, j’ai recours à cette expression.
Je
ne te cache pas que certaines personnes avec qui je l’ai utilisé, m’ont
reproché, sans le dire,[2] de
vouloir leur mort.
Leur
reproche n’est pas fondé bien sûr, mais j’ai senti qu’en
« t’accueillant » ainsi, je t’ai mis mal à l’aise.
Je
tiens donc à souligner que pour moi, cette expression exprime, tout simplement,
une sorte « d’étonnement ».
Tu
m’as fait part, encore une fois, du fait que tu ne reçois pas mon courrier et
je t’ai répété que beaucoup de choses envoyées de France, ne sont pas remises
aux destinataires au Maroc.
J’ai
envoyé des lettres qui n’ont jamais été remises.
Et
je continue d’en envoyer.
Je
t’ai fait savoir un jour que dans les années-quatre-vingts,[3] après
la soutenance d’une thèse de doctorat d’université en droit international
public,[4] j’ai
envoyé par la poste, en recommandé, un exemplaire de cette thèse, à Kariim
Al’amraanii,[5] Directeur de l’Office des
Phosphates, qui faisait fonction de « premier ministre » et que je
n’ai jamais su si la police du régime de l’imposture qu’il a toujours servi, a
donné l’autorisation pour que l’envoi lui soit remis.
Dans
les années deux mille, tu ne le sais peut-être pas, j’ai envoyé à une personne
de la famille un CD[6] contenant mon travail sur
« comment accomplir la prière en Islaam ».
Mon
envoi a été saisi par la DST[7] et la
personne destinataire a été soumise à un interrogatoire qui, par la miséricorde
d’Allaah, n’a pas eu de suites fâcheuses, ni pour elle, ni pour d’autres.[8]
Il
n’y a pas que la police qui s’attribue le « droit » de faire ce
qu’elle veut, du courrier et autres, « au pays où la nature est restée
naturelle ».[9]
Il y
a lieu de ne jamais oublier, que c’est une contrée où le vol, par exemple, est
généralisé.
Tu
le sais bien.
Des
« fonctionnaires » par exemple, n’hésitent en aucun cas à s’adonner à
cette pratique, y compris lorsqu’il s’agit de courrier.
Ce
virus, transmis y compris par des membres de la même famille,[10] fait
partie intégrante de la pourriture qui dégouline de partout dans cette région
où le régime de l’imposture continue de répandre la puanteur.
D’autres
explications existent bien sûr, mais je n’ai pas envie d’essayer de les passer
en revue, car cela ne change rien au mépris qui règne depuis des lustres au
Maroc, en violation des droits les plus élémentaires des populations.
Tu
le sais.
Internet
peut nous permettre de contourner certains obstacles, mais tu refuses
d’utiliser cet outil.
Je
vais donc continuer à envoyer le courrier par la poste, car les envois ne
disparaissent pas toujours.
Tu
m’as appris que tu vas bientôt publier un autre livre et tu m’as promis de me
l’envoyer avec notre neveu[11] qui
m’a apporté tes autres livres cet été.
Comme
pour les autres livres, je te dirai, ine chaa-e Allaah, ce que j’en pense, au
risque que mon approche ne soit pas appréciée.
Il
arrive, en effet, que cette approche ne plaise pas aux individus qui n’aiment
pas qu’un chat, soit appelé un chat.
Tu
sais bien cher frère, qu’en Islaam,[12] un
tricheur est appelé un tricheur, un falsificateur, un falsificateur, un menteur,
un menteur, un voleur, un voleur, un usurpateur, un usurpateur, un imposteur,
un imposteur, un pervers, un pervers et ainsi de suite.
Ces
individus ne l’admettent pas et s’obstinent dans le refus d’écouter et de réfléchir.
Parmi
eux, certains se lancent dans une phraséologie creuse, afin d’essayer d’écarter
ce qui ne leur plaît pas et reprochent à celui et à celle qui appellent un
chat, un chat, de ne pas accepter les individus tels qu’ils sont, de vouloir la
contrainte, de s’opposer à l’élargissement du champ d’exploration, de rejeter
l’esprit critique, de refuser le dialogue, de ne pas respecter l’ouverture, de
redouter le changement, d’être rigides, de faire preuve de suffisance et
d’avoir la prétention de posséder la science infuse.[13]
Écouter
et réfléchir.
Quel
souvenir gardes-tu de lui ?
Sa
vieille boutique était pour moi un espace recherché.
Je
m’y rendais chaque fois que je le pouvais.
Lorsque
je vivais avec notre défunte sœur,[16] dont
le logement était presque attenant à cette boutique,[17] je
m’y rendais très souvent.
Je
le trouvais souvent au travail.
Il
était installé sur une sorte de dossier un peu élevé par rapport au sol, un
pied de fer sans âge, à portée de la main.
En
face, une petite table en bois sur laquelle étaient posés un marteau, des
clous, une vieille paire de ciseaux, un couteau, une grosse aiguille à coudre,
un poinçon.
Sur
sa droite, un seau d’eau dans lequel il plongeait par moments une chaussure,
une babouche ou autre lorsqu’il l’estimait nécessaire, pour adoucir le cuir,
avant d’entamer la couture.
Il y
plongeait aussi parfois le vieux couteau, dont le manche était entouré de
caoutchouc, pour l’aiguiser ensuite sur une pierre posée au bord de la petite
table.
Son
vieux vélo était à l’intérieur, appuyé contre le mur.
À vélo, il avait fait des voyages dans
différentes régions afin de voir certaines personnes qu’il estimait aptes à lui
donner des enseignements sur l’Islaam.
Le
sol était jonché de morceaux de cuir de toutes dimensions et de mille et une
autres choses. Je m’asseyais dessus.
Des
fois avec d’autres personnes.
Et
nous l’écoutions et réfléchissions.
Tout
en travaillant, il parlait de la foi, de la vie des Prophètes et des Messagers
sur eux la bénédiction et la paix et d’autres événements.
Nous
débattions de tout.
Parfois,
il me donnait ou à d’autres, de vieux écrits à lire à haute voix pour qu’il en
fasse le commentaire et susciter nos réactions.
Cet
homme pour qui j’ai toujours eu un profond attachement et beaucoup d’affection,
m’a aidé à me remplir.
Sa
boutique, presque en ruine, qui avait à peine deux mètres sur deux, et qui
tenait je ne sais comment, a été pour moi un vaste endroit ouvert, nourrissant,
lumineux.
Ce
cordonnier n’est plus de ce monde.[18]
Je
venais de finir de t’écrire, lorsque j’ai reçu les deux dernières lettres que
je t’ai envoyées et qui ne te sont pas parvenues.
Elles
sont revenues avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée » !
C’est
vrai que tu n’y habites que depuis une quarantaine d’années et que les lettres
qui ont franchi tous les obstacles pour te parvenir, y compris certaines
envoyées par moi, ont dû te confondre avec quelqu’un d’autre.
J’arrête
de « blaguer » pour te dire que je remettrai pour toi, ine chaa-e
Allaah, les deux lettres qui m’ont été retournées et celle-ci également, à
notre neveu lorsqu’il passera.
Le fait
que les lettres me soient retournées, ne change rien quant au fond, à tout ce
que j’ai dit sur le vol au Maroc et la puanteur qui y règne.
Cette
fois, l’explication est autre, mais ne bouleverse pas les données de la
situation.
Qu’Allaah
nous pardonne et nous couvre de Sa miséricorde.[21]
BOUAZZA
[1] Expression en marocain
parlé, arabe dit "darija".
[2] Le
Maroc est une contrée où dans leurs relations, beaucoup de personnes cultivent,
depuis des lustres, le "non-dit".
[3] Selon
le calendrier dit grégorien.
[4] Thèse
sur le Sahara Occidental.
Il
m’est déjà arrivé de parler des raisons pour lesquelles j’ai adressé un
exemplaire de cette thèse à cet individu.
[5] Karim
Lamrani.
[6]
Compact Disc.
[7]
Abréviation de Direction de la
Surveillance du Territoire, un service de la police du régime
de l’imposture, service connu pour les enlèvements, la torture, les
disparitions, les éliminations et autres crimes.
[8] Un CD
sur la prière en Islaam, représente un danger selon ce service de police, dans
un pays dit "musulman".
[9] Vieux
slogan d’une publicité pour attirer "les touristes".
[10] De la nôtre et
d’innombrables autres.
[11] Un neveu qui se rend de
temps à autre en France dans le cadre de ses activités professionnelles.
[12]
L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à
faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme
Allaah le demande.
[13] L’énumération n’est pas
exhaustive.
[14] Le cordonnier.
[15] Khémisset.
[16] Elle est morte en 1970.
Qu’Allaah lui pardonne et la couvre de Sa miséricorde.
[17] J’étais alors collégien.
[18] Qu’Allaah lui pardonne et
le couvre de Sa miséricorde.
[19] L’information m’est
parvenue en France.
[20] Puis rasée.
[21] Je reprends beaucoup de
ce dont j’ai déjà parlé.
Voir :
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