Je
remettrai cette réponse à notre neveu, ine chaa-e Allaah,[2] lors de
sa venue puisque pour la poste au Maroc, "tu n'habites pas à l'adresse
indiquée"![3]
Merci
pour les informations concernant des membres de la famille.
Tes
mots sur tes souvenirs d'enfance me touchent beaucoup.
En
dépit des durs événements qui ont marqué cette période de notre parcours, nous
pensons à ces moments avec tendresse, car l'enfance est pleine de bienfaits
inoubliables, dus à la miséricorde[4]
d'Allaah..
Les
épisodes sur l'enfance ne manquent pas dans les textes que j'écris sur notre
famille décomposée.
Ils
sont chargés d'émotion et de nostalgie.
En
voici un exemple, écrit il y a déjà des années:
C’était en 1957-1958, je crois.
J’avais sept ou huit ans et nous habitions au quartier de
l’Océan, à Rabat.[5]
J’appréciais les
promenades avec un frère cadet et une soeur plus âgée.
Douceur d’automne.
Nuages d’hiver.
Ciel bleu du printemps.
Chaleur du soleil l’été.
La
maison que nous habitions, avait un patio où j’aimais jouer et auquel je
repense avec douceur.
Ma
belle-mère, mes sœurs, mes frères et moi occupions le rez-de-chaussée.
Mon
père[6] avait le
premier étage où son épouse le rejoignait la nuit.
Pour
y accéder, le père passait cependant par le rez-de-chaussée et y restait un peu
parfois.
Il fallait emprunter les allées du
territoire du père pour monter à la terrasse.
Cette
terrasse était un lieu enchanteur.
Et
c’est à cet endroit que j’ai eu des sensations qu’il m’est difficile
aujourd’hui encore, de décrire avec des mots.
Un
jour, j’y suis resté un long moment.
Il
faisait beau.
La
terrasse voisine était couverte d’une toile qui la transformait en une sorte de
grande tente. C’était la fête.
J’écoutais.
Je
pouvais regarder aussi et ne me privais pas de le faire.
Je
ne sais pas comment les choses se sont passées, mais subitement, elle était
devant moi.
Au
milieu des chants et d’innombrables personnes.
Je
ne regardais qu’elle.
Je
n’avais jamais vu quelqu’un comme elle.
J’étais
transporté.
Elle
était radieuse.
C’était
une femme, mais pour moi c’était "autre chose".
Je
ne savais pas quoi.
Je
pensais qu’elle ne regardait que moi et j’avais la sensation qu’elle me
caressait du regard, me transmettait l’affection, m’offrait l’amour.
Une
coulée de bonheur.
Ma
belle-mère m’a expliqué que j’avais vu la mariée.
La
signification exacte m’échappait un peu et j’avais une forte envie de rejoindre
cette femme et de rester avec elle.
C’est
peut-être à partir de cette époque que le mariage est devenu pour moi un
symbole fort que les mots peinent à décrire.
Je me suis marié depuis.
Qu’est devenue la femme de la terrasse ?
Que dire de ce qui a été ?
Dans ta lettre, tu fais allusion à des problèmes de mon
neveu, ton troisième fils.
Un
jour, ine chaa-e Allaah, il saisira ce qu'il n'arrive plus à saisir, parce
qu'il a peut-être perdu
le
discernement[7]
que possèdent les enfants, qu'ils peuvent perdre et qu'ils peuvent retrouver.
Et
lorsqu'il saisira ce qu'il n'arrive plus à saisir, alors, ce qui s'est voilé
pour lui, redeviendra clair.
Qu'Allaah
nous éclaire et nous guide.
Que
puis-je lui dire, moi qui ne l'ai jamais vu, alors que je suis son oncle
paternel?
S'il
aime lire, il serait peut-être bon pour lui de lire le livre de Driss Chraïbi,[8] intitulé
"Succession ouverte".[9]
Dans
ce livre, Driss Chraïbi[10] écrit:
"Le
puits, Driss, creuse un puits et descends à la recherche de l'eau. La lumière
n'est pas à la surface, elle est au fond, tout au fond. Partout, ou que tu
sois, et même au désert, tu trouveras toujours de l'eau. Il suffit de creuser.
Creuse Driss. Creuse".[11]
Les
enfants n'appartiennent ni au père, ni à la mère.
Ils
sont tenus, comme chaque créature d'Allaah, d'accomplir ce pourquoi ils ont été
créées.
Durant
une période de leur parcours ici-bas, ils constituent un dépôt,[12] confié
par Allaah aux parents.
Nous avons été chargés, cher frère, de veiller sur ce dépôt.
Avons-nous
fait de notre mieux pour nous acquitter de cette tâche, comme Allaah le
demande?
Avons-nous été à la hauteur de cette responsabilité?
Non.
Qu'Allaah
nous pardonne.[13]
BOUAZZA
[1]
Selon le calendrier dit grégorien.
[2]
Si Allaah veut.
[3]
Cela lorsque ce qui est envoyé d'ici n'est tout simplement pas volé (ou
confisqué) là-bas.
[4]
Rahma (le ʺrʺ roulé).
[5]
Arribaate, rrbaate (les "r" roulés).
[6]
Dont c’était le troisième mariage, s’est séparée de ma mère, sa deuxième
épouse, alors que j’avais trois ans.
Il est mort le 4 octobre 2008, à l’âge de quatre vingt
six ans.
Ma mère est décédée la même année, le 28 juin, un
samedi également, à l’âge de quatre vingts ans.
[7]
Alforqaane.
[8]
Driis Chchraaïbii (Idriis Achchraaïbii).
[9]
Je le lui ferai parvenir, ine chaa-e Allaah, par le même moyen que cette
lettre.
[10]
Les ʺrʺ roulés.
[11]
Éditions Denoël, Paris, 1962.
[12]
Amaana.
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