mercredi 25 décembre 2013

ÉMOTION ET NOSTALGIE

J’ai reçu ta lettre datée du 26 novembre 2013.[1]
Je remettrai cette réponse à notre neveu, ine chaa-e Allaah,[2] lors de sa venue puisque pour la poste au Maroc, "tu n'habites pas à l'adresse indiquée"![3]
Merci pour les informations concernant des membres de la famille.
Tes mots sur tes souvenirs d'enfance me touchent beaucoup.
En dépit des durs événements qui ont marqué cette période de notre parcours, nous pensons à ces moments avec tendresse, car l'enfance est pleine de bienfaits inoubliables, dus à la miséricorde[4] d'Allaah..
Les épisodes sur l'enfance ne manquent pas dans les textes que j'écris sur notre famille décomposée.
Ils sont chargés d'émotion et de nostalgie.
En voici un exemple, écrit il y a déjà des années:
C’était en 1957-1958, je crois.
J’avais sept ou huit ans et nous habitions au quartier de l’Océan, à Rabat.[5]
J’appréciais les  promenades avec un frère cadet et une soeur plus âgée.
Douceur d’automne.
Nuages d’hiver.
Ciel bleu du printemps.
Chaleur du soleil l’été.
La maison que nous habitions, avait un patio où j’aimais jouer et auquel je repense avec douceur.
Ma belle-mère, mes sœurs, mes frères et moi occupions le rez-de-chaussée.
Mon père[6] avait le premier étage où son épouse le rejoignait la nuit.
Pour y accéder, le père passait cependant par le rez-de-chaussée et y restait un peu parfois.
Il fallait emprunter les allées du territoire du père pour monter à la terrasse.
Cette terrasse était un lieu enchanteur.
Et c’est à cet endroit que j’ai eu des sensations qu’il m’est difficile aujourd’hui encore, de décrire avec des mots.
Un jour, j’y suis resté un long moment.
Il faisait beau.
La terrasse voisine était couverte d’une toile qui la transformait en une sorte de grande tente. C’était la fête.
J’écoutais.
Je pouvais regarder aussi et ne me privais pas de le faire.
Je ne sais pas comment les choses se sont passées, mais subitement, elle était devant moi.
Au milieu des chants et d’innombrables personnes.
Je ne regardais qu’elle.
Je n’avais jamais vu quelqu’un comme elle.
J’étais transporté.
Elle était radieuse.
C’était une femme, mais pour moi c’était "autre chose".
Je ne savais pas quoi.
Je pensais qu’elle ne regardait que moi et j’avais la sensation qu’elle me caressait du regard, me transmettait l’affection, m’offrait l’amour.
Une coulée de bonheur.
Ma belle-mère m’a expliqué que j’avais vu la mariée.
La signification exacte m’échappait un peu et j’avais une forte envie de rejoindre cette femme et de rester avec elle.
C’est peut-être à partir de cette époque que le mariage est devenu pour moi un symbole fort que les mots peinent à décrire.
Je me suis marié depuis.
Qu’est devenue la femme de la terrasse ?
Que dire de ce qui a été ?
Dans ta lettre, tu fais allusion à des problèmes de mon neveu, ton troisième fils.
Un jour, ine chaa-e Allaah, il saisira ce qu'il n'arrive plus à saisir, parce qu'il a peut-être perdu
le discernement[7] que possèdent les enfants, qu'ils peuvent perdre et qu'ils peuvent retrouver.
Et lorsqu'il saisira ce qu'il n'arrive plus à saisir, alors, ce qui s'est voilé pour lui, redeviendra clair.
Qu'Allaah nous éclaire et nous guide.
Que puis-je lui dire, moi qui ne l'ai jamais vu, alors que je suis son oncle paternel?
S'il aime lire, il serait peut-être bon pour lui de lire le livre de Driss Chraïbi,[8] intitulé "Succession ouverte".[9]
Dans ce livre, Driss Chraïbi[10] écrit:
"Le puits, Driss, creuse un puits et descends à la recherche de l'eau. La lumière n'est pas à la surface, elle est au fond, tout au fond. Partout, ou que tu sois, et même au désert, tu trouveras toujours de l'eau. Il suffit de creuser. Creuse Driss. Creuse".[11]
Les enfants n'appartiennent ni au père, ni à la mère.
Ils sont tenus, comme chaque créature d'Allaah, d'accomplir ce pourquoi ils ont été créées.
Durant une période de leur parcours ici-bas, ils constituent un dépôt,[12] confié par Allaah aux parents.
Nous avons été chargés, cher frère, de veiller sur ce dépôt.
Avons-nous fait de notre mieux pour nous acquitter de cette tâche, comme Allaah le demande?
Avons-nous été à la hauteur de cette responsabilité?
Non.
Qu'Allaah nous pardonne.[13]
 
BOUAZZA




[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Si Allaah veut.
[3] Cela lorsque ce qui est envoyé d'ici n'est tout simplement pas volé (ou confisqué) là-bas.
[4] Rahma (le ʺrʺ roulé).
[5] Arribaate, rrbaate (les "r" roulés).
[6] Dont c’était le troisième mariage, s’est séparée de ma mère, sa deuxième épouse, alors que j’avais trois ans.
Il est mort le 4 octobre 2008, à l’âge de quatre vingt six ans.
Ma mère est décédée la même année, le 28 juin, un samedi également, à l’âge de quatre vingts ans.
[7] Alforqaane.
[8] Driis Chchraaïbii (Idriis Achchraaïbii).
[9] Je le lui ferai parvenir, ine chaa-e Allaah, par le même moyen que cette lettre.
[10] Les ʺrʺ roulés.
[11] Éditions Denoël, Paris, 1962.
[12] Amaana.

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