samedi 30 novembre 2013

KHALTII RAABHA

Elle ne tardait jamais à arriver, à pied ou sur un âne, à travers la campagne, chaque fois que je rendais visite à ma défunte mère.
C’était sa sœur, ma tante Raabha.[1]
Comment était-elle informée de mon arrivée ?
Je ne l’ai jamais su.
Les colonialistes français qui n’arrivaient pas à percer le secret de la rapidité de la transmission et de la circulation des informations en Afrique du Nord où les populations ne disposaient d’aucun moyen technique à cet effet, ont eu recours, avec leur incommensurable mépris, à l’expression « le téléphone arabe ».
Je dirais, avec un incommensurable amour, que cette tante avait à sa disposition « le téléphone berbère ».[2]
Elle me serrait dans ses bras, pleurait parfois et passait un moment à me « sentir »,[3] comme seules certaines parentes savent le faire.
Puis elle ne me disait plus rien.
J’ai appris à écouter son silence.
Comme celui de ma défunte mère, il disait l’Essentiel.
J’ai appris hier, vendredi 29 novembre 2013,[4] que cette tante est morte deux jours avant.[5]
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Que dire de ce qui s’en va et comment parler de ce qui demeure ?
Que dire de ce qui cesse et comment parler de ce qui commence ?
Que dire de ce qui a été et comment parler de ce qui sera ?
J’aimerais tant que mes larmes, comme l’eau qui s’infiltre dans la terre pour rafraîchir les racines de l’arbre, irriguent encore et encore les graines pour que germent les fleurs de mon cœur.
J’aimerais tant faire entendre le murmure de l’eau qui nous rappelle que nous sommes à Allaah et à Lui nous retournons.[6]

BOUAZZA


[1] Khaaltii Raabha, le "r" roulé (Raabha signifie gagnante, en arabe).
[2] C’était une "Zmmouria", le "r" roulé (une femme de Zmmour).
[3] Elle "sentait" en moi, l’odeur des enfants, mes trois sœurs et mon frère, arrachés, comme moi, à notre mère lorsqu’elle a été divorcée.
[4] Selon le calendrier dit grégorien.
[5] Le mercredi 17 novembre 2013.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire