Tu n’arrives pas à entretenir une
correspondance.
Pour ce qui me concerne, je vais
essayer de continuer à maintenir le contact, même en l’absence de répondant.
Je pense n’avoir jamais privé une
personne de réponse à son courrier.
Et même lorsqu’il n’y a pas
réciprocité, je fais de mon mieux afin d’éviter de rompre des relations,
lorsque cela est possible.
C’est dire que de temps à autre,
ine chaa-e Allaah, je te ferai signe, « pour t’entretenir de choses et
d’autres ».
Rappeler, encore rappeler,
toujours rappeler.
L’Essentiel.
Tu le sais.
Je te parle de
« nous », à travers mon cheminement dans ce que je cherche à
améliorer, à partager, à transmettre.
Il y a un certain temps déjà,
dans un court texte intitulé « La route de la soie », j’ai
parlé de mon « élevage » de vers à soie.
Je me régalais, écrivais-je, avec
des camarades, de délicieux fruits blancs et presque noirs, des magnifiques
mûriers de la cour de récréation de l’établissement scolaire de Lkhmiçaate,[1] au
Maroc.
Je me servais aussi et surtout
des feuilles de ces arbres pour alimenter des vers à soie.
En effet, dans mon casier
d’interne, en salle d’étude, j’avais, comme certains autres élèves, une boîte
en carton qui contenait mon « élevage ».
Cette activité était importante
pour moi.
Les moments que j’appréciais le
plus étaient ceux où le ver à soie[2]commençait
à façonner le cocon, s’isolait petit à petit, puis disparaissait entièrement en
attendant sa transformation en papillon.
Je me revois penché sur ma boîte
en train d’observer attentivement « l’élevage » à chaque étape de son
évolution.
Instants extraordinaires.
Ma « route de la soie »
allait des superbes mûriers de la cour de l’établissement scolaire,[3] au casier
en salle d’étude.
Un parcours merveilleux.
Je ne connaissais pas encore des
récits sur Samarkand par exemple, en Asie Centrale, en lien avec la
« route de la soie », mais je pouvais en faire d’infinis en lien avec
mon « élevage ».
Et ils n’étaient pas sans
intérêt.
Ils pouvaient tenir en haleine et
faire rêver beaucoup de ceux qui n’ont pas connu cette « aventure ».
Elle m’a procuré de magnifiques
sensations et m’a certainement aidé à mieux comprendre que les itinéraires,
même « sur place », peuvent être fabuleux.
J’y repense de temps à autre.
À
cette époque, il y a un demi siècle, mon observation des signes[4] était
plus limitée qu’elle ne l’est aujourd’hui, quant à ma capacité d’en tirer des
enseignements.
Je n’étais pas encore en mesure
de saisir le Sens, en regardant un ver à soie dans le fabuleux cycle de la création
d’Allaah.
Je ne saisissais pas comment
l’observation de l’évolution de cet « élevage », pouvait m’aider dans
mon parcours, à consolider le Lien.
Bref, je ne percevais pas encore
l’importance du Sens et du Lien dans la Voie d’Allaah.
Les signes, cher frère, sont
partout.
L’infinie miséricorde d’Allaah
nous aide à les observer et à réfléchir.[5]
Il m’arrive, par exemple,
d’observer longuement mes mains et de me plonger dans une profonde méditation
sur les signes.
Cela doit t’arriver aussi,
certainement.
Méditation qui débouche, souvent,
sur ma marche dans l’impermanence d’ici-bas, vers la permanence de l’au-delà et
je fais ce que je peux,[6] cher
frère, pour devenir meilleur.
Comment y parvenir ?
Lorsque j’ai quitté le Maroc et
que je me suis installé en France, avec mon épouse et nos enfants, j’ai voulu
fuir des troubles et des pratiques condamnables.[7]
Je ne savais pas comment me
situer, comment lutter, comment résister.
Je craignais de sombrer dans le
marécage, de devenir une ordure, de ne pas échapper à la pourriture.
Quelles étaient mes convictions
réelles ?
Quelles étaient mes vraies
motivations ?
Quelle idée avais-je de la suite ?
C’était flou.
J’étais inquiet.
Au Maroc, j’avais peur pour mon
épouse et nos enfants.
L’atmosphère me devenait lourde.
Tout me paraissait faussé.
Quelle était la part des facteurs
personnels ?
La part des facteurs
familiaux ?
La part des facteurs
sociaux ?
J’avais hâte de quitter le pays
de «l’indépendance dans l’interdépendance».[8]
«L’évasion » a eu lieu.[9]
Nous nous sommes installés en
« métropole»[10].
Le temps s’est écoulé depuis mon
« élevage » à l’internat.
Les saisons ont succédé aux
saisons.
Je suis revenu, je pense, plus
profondément à mon «intériorité», [11] par
la miséricorde d’Allaah, afin de mieux observer, de mieux réfléchir, de faire
de mon mieux pour Adorer[12]
Allaah, comme Allah le demande.
« Par le soleil et par sa
clarté.
Par la lune quand elle le suit.
Par le jour quand il l’éclaire.
Par la nuit quand elle
l’enveloppe.
Par le ciel et par Celui qui l’a
construit.
Par la terre et par Celui qui l’a
étendue.
Par l’âme et par Celui qui l’a
harmonieusement façonnée.
Et lui a inspiré son immoralité
et sa piété.
A réussi celui qui l’a purifiée.
Et a perdu celui qui l’a
corrompue ».[13]
Je te parle toujours de la même
chose.
Je le sais.
Et je t’en parlerai encore et
encore ine chaa-e Allaah.[14]
BOUAZZA
[2] Doudate lqzz.
C’était une école primaire
dite "franco-musulmane" au temps du colonialisme français, à
laquelle s’est ajouté le collège.
L’établissement est devenu
lycée par la suite.
Lors de mon retour à Lkhmiçaate
de 1977 à 1981, j’ai pu obtenir avec l’aide d’un ami de mon père, un poste
d’enseignante contractuelle pour mon épouse, dans ce lycée.
Détentrice d’une maîtrise
d’italien (langue qu’elle a enseignée dans un collège en France) et d’une
licence de français, elle a interrompu son activité d’enseignante en France
pour m’accompagner.
De retour en France, elle a
eu un poste d’enseignante dans le secondaire, jusqu’à sa retraite.
[4] Aayaate.
[5] Alqoraane (Le Coran),
sourate 45 (chapitre 45), Aljaathiya, L’Agenouillée, aayate 5 (verset 5).
[6] C’est ce que demande le
Seigneur des univers (Rabb alaalamiine) à chacun et à chacune d’entre nous.
[7] Je rappelle et je
rappellerai encore et encore ine chaa-e Allaah.
[8]
Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste et qui s’est traduit
dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs,
subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans
l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la
trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche,
le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la
torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au Maroc, le système
colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat en monarchie héréditaire,
dite de "droit divin" et le sultan, devenu roi, est au service de ce
système.
[9] J’ai quitté le Maroc en août 1981, après un certain
temps dans le secteur dit ″public″, que j’ai abandonné pour effectuer un stage d’avocat
(que je n’ai pas terminé) au cabinet mis en place par mon père, à sa retraite
de magistrat.
Ce stage me servait surtout
à préparer mon retour en France, retour auquel je pensais.
J’ai mis presque deux ans
pour réaliser mon projet d’évasion.
Quelques
jours avant mon départ, je recevais encore des personnes au cabinet et je
déambulais, en ″ robe noire″ (introduite
aussi au Maroc par le colonialisme) au tribunal où l’avocat est à ″la justice″, ce que la
prostituée est au proxénète.
Je
suis parti un matin.
En
plein été.
En
pleine lumière.
Quelques
semaines seulement venaient de s’écouler depuis des événements sanglants du
mois de juin 1981, à Ddaar Lbidaa (La Maison Blanche, Casablanca) et dans
d’autres villes, contre le régime de l’imposture :
Les
hommes, les femmes, les enfants en marche.
L’arsenal
du maintien de ″l’ordre″.
La
panoplie répressive.
Les
milliers d’arrestations.
Les
camps de détention et de torture.
Les
blessés et les tués.
Les
procès en vertu de la loi colonialiste sur les manifestations contraires à ″l’ordre″ et
réprimant les atteintes au respect dû à ″l’autorité″.
(Loi du 29 juin 1935, mise
en place par la France colonialiste au Maroc colonisé, et appliquée par le
régime de l’imposture, de ″l’indépendance dans
l’interdépendance″, contre les
indigènes).
Dans
le taxi qui m’emmenait à l’aéroport, j’avais hâte d’être dans l’avion.
J’ai quitté le Maroc pour
ramener mon épouse au pays qu’elle a quitté afin de m’accompagner, pour
protéger nos enfants et je le dis en mots que je n’étais pas en mesure
d’utiliser à l’époque, ″pour ne
pas me faire vider de ce qui me remplit avant même que je ne sois de ce monde″.
J’ai quitté le Maroc une
première fois, après le baccalauréat, pour des études universitaires en France
où je suis resté de 1970 à 1977.
J’y
suis retourné et au bout de quatre ans, je l’ai quitté avec mon épouse et nos
deux fils pour nous installer en France
où nous sommes encore, par la grâce du
Seigneur des univers (Rabb al’aalamiine).
[10] En
France, pays où j’étais donc déjà venu pour des études universitaires et où
j’avais rencontré l’étudiante, native de la Drôme, devenue mon épouse et mère
de notre premier fils.
Notre deuxième fils est né
au Maroc.
Il m’a fallu pratiquement
trois années pour décrocher un ″emploi
stable″ qui, bien entendu,
n’avait pas le titre ″valorisant″ de celui du Maroc, mais dans ce
domaine, je savais ce qui m’attendait en revenant ici et mon but n’était pas de
″faire carrière″.
Nous sommes revenus ici il
y a 32 ans.
Nous sommes installés dans
ce pays où sont nos enfants et nos petits enfants.
La louange est à Allaah
(alhamdo lillaah).
[11] Une reconquête ?
[12] Adoration, ‘ibaada.
[13]
Alqoraane (Le Coran), sourate 91 (chapitre 91), Achchamç, Le Soleil, aayate 1 à
aayate 10 (verset 1 au verset 10).
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