mercredi 25 septembre 2013

LA LIMOUSINE

La limousine, il y pense sans cesse.
Son amour pour elle n’a pas changé.
Les mille et une qualités qui la distinguent sont imprimées en lui.
Sur un banc en retrait, il l’aperçoit.
Il ne voit pas la foule bigarrée à proximité et reste sourd au vacarme.
Dans une banlieue décriée,[1] où il a travaillé de longues années à la chaîne,[2] il y a affluence devant la Mairie.
Un couple originaire du Maroc de « l’indépendance dans l’interdépendance »,[3] attend, dans un bruit assourdissant, pour accéder à la salle des mariages.
Attroupement.
Bousculade.
Tambourins[4].
Des types en tuniques de là-bas et babouches, alimentent un tapage que d’aucuns trouvent « exotique ».[5]
Des « artistes » indigènes[6].
Des femmes lancent des « you-you »[7] stridents en se trémoussant et en se tortillant.
Des éléments de « la smala »[8], prennent des photos à montrer aux habitants restés au douar[9].
Garée bien en vue devant l’édifice, la limousine de location nourrit le fantasme de la « réussite ».
Étranger à cette agitation, le vieillard sur le banc poursuit sa remémoration, un rictus sur les lèvres.
Les pigeons à proximité partent dans un envol majestueux.
Le rictus du vieillard devient un sourire, puis un rire, se confondant avec le claquement des ailes.
Le voilà dans son village natal, devant le plateau de Millevaches[10] dans le Limousin,[11] où lui parvient la fantastique musique du meuglement de la limousine.[12]
 
BOUAZZA


[1] Connue pour ses cités où des personnes sont reléguées, en marge de tout.
Banlieue dite d’Habitations à Loyers Modérés (H.L.M.) utilisées pour entasser des familles issues du processus migratoire (principalement d’Afrique du Nord et d’autres régions d’Afrique), elle est dite zone de non-droit par ceux et celles qui veillent sur l’étable de la loi (les tables de la loi).
[2] Dans une usine de construction de voitures.
[3] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste et qui s’est traduit, dans les colonies, par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
[4] Bnadr, singulier, bendir, le r roulé.
 Instrument de musique fait d’une roue de bois (ou de plastique) et de peau d’animal (ou artificielle) tendue.
[5] Mot qui a eu ses moments de gloire au bon vieux temps de l’empire colonialiste français.
[6] Vocable désignant les populations originaires des colonies.
[7] Zghariites (le r roulé), cris manifestant une participation bruyante à un événement considéré comme important.
[8] Terme intégré au français pour désigner, avec le mépris colonialiste, une famille dite arabe, forcément nombreuse et donc lourde et envahissante.
[9] Le r roulé.
Population d’un village au Maroc.
[10] Miuvachas disait sa grand-mère maternelle en occitan.
[11] Dans le plateau central, en Corrèze.

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